Introduisons la psychologie positive
Tout d’abord, une introduction s’impose à nous concernant la psychologie positive, tant la désinformation se diffuse dans les articles ou conférences de personnes peu ou pas formées en psychologie mais ayant choisi cette thématique pour créer leur business. On peut parfois lire ou entendre des choses comme « le psychologue ne s’intéresse qu’aux maladies quand nous, formateurs/coachs/thérapeutes en psychologie positive, on s’occupe du bien-être », « la psychologie ne s’intéresse qu’au mal-être alors que la psychologie positive s’intéresse à ce qui rend vraiment heureux ». Ces propos, très polarisants, relèvent d’une déformation volontaire ou involontaire des arguments de Seligman, cette opposition facilitant évidemment l’argumentaire commercial de ces professionnels. Mais écoutons plutôt ce que peuvent en dire les chercheurs en psychologie positive.
Dans un article introduisant le numéro spécial de la revue American Psychologist consacré à la psychologie positive en 2000, Seligman et Csiksentmihalyi rappellent que la psychologie avait historiquement 3 principales missions : soigner les problèmes de santé mentale, rendre la vie des gens plus productive et épanouissante et identifier et cultiver les talents. Cependant, après la seconde guerre mondiale, la psychologie s’est concentrée sur les problèmes de santé mentale pour diverses raisons, notamment économiques car les subventions étaient principalement données à cette orientation, notamment pour soigner les personnes rentrant de la guerre. Ce focus a permis de développer les connaissances et accompagner plus efficacement de nombreuses problématiques, a permis aux psychologues, notamment cliniciens, d’occuper une place plus importante aux Etats-Unis alors que les thérapies étaient jusque-là plutôt l’apanage des psychiatres, mais a relégué au second plan les deux autres missions qu’avait à l’origine la discipline. En parallèle, les recherches réalisées sur la prévention ont mis en avant l’importance des forces et vertus. La création du mouvement de psychologie positive vise donc selon eux à améliorer le bien-être et la santé de la population tout en restaurant les missions oubliées de la psychologie, à savoir rendre la vie des gens plus productive et épanouissante et permettre d’identifier et développer les talents, en respectant l’approche scientifique que doit porter la psychologie. Un récit plus détaillé sur la genèse de la psychologie positive et son intention avec ce courant est développé par Seligman dans son livre La fabrique du bonheur : Vivre les bienfaits de la psychologie positive au quotidien, réédité en 2023.
En s’intéressant aux thématiques présentées dans l’édition spéciale de la revue American Psychologist ou encore dans un livre spécialisé comme le traité de psychologie positive dirigé par Martin-Krumm et Tarquinio et sorti en 2011, le psychologue pourra retrouver des concepts et thématiques enseignés durant sa formation initiale comme par exemple la résilience, la relation entre émotions positives et santé ou encore la motivation et la théorie de l’autodétermination, confirmant une dernière fois que la confrontation artificielle « psychologie » vs « psychologie positive » n’a pas lieu d’être, et que les psychologues, du moins en France, ont une formation plus globale et un champ d’intervention plus diversifié que ce que prétendent ces conférenciers qui les limitent à « traiter la maladie ». L’étude de ce qui peut favoriser le bien-être, l’épanouissement et l’excellence est également au cœur des recherches en psychologie positive, avec notamment le développement des forces, thématique que nous allons désormais aborder.
Forces, de quoi parle-t-on ?
La philosophie derrière le champ conceptuel des forces en psychologie est qu’on ne peut atteindre l’excellence, ou une vie satisfaisante, en se concentrant uniquement sur les faiblesses et éléments dysfonctionnels de nos vies et de nos carrières. Cette approche permet de limiter les dégâts, mais c’est en se concentrant sur nos forces que l’on pourra évoluer vers une vie réellement satisfaisante (Buckingham et Clifton en 2008, Asplund et Blacksmith en 2012, Niemiec et Pearce en 2021, Seligman en 2023a).
Niemiec et Pearce (2021) ont constaté que le terme de « forces » était polysémique. Dans les articles, on peut trouver le terme utilisé pour différents types de forces comme les talents, les forces de caractère ou d’autres types de forces. Parfois, aucune précision n’est donnée. Or, ces termes renvoient à des concepts différents dans leur définition et leur portée.
En réalisant notre revue de littérature pour rédiger cet article, nous ne pouvons qu’être d’accord avec eux, ayant mis de côté de nombreux articles manquant de rigueur sur le sujet, et partageons la nécessité de préciser de quoi on parle.
Dans notre article, nous distinguerons désormais de notre côté les termes de :
- Points forts et talents, tels que conceptualisés par Donald Clifton et les chercheurs de l’entreprise Gallup.
- Forces de caractères et vertus, telles que conceptualisées par Seligman, Peterson et de façon générale l’institut VEA (valeurs en action), VIA institute en anglais.
- Champ conceptuel des forces, quand nous parlerons de la philosophie sous-jacente à ces démarches et qu’aucun concept précis ne sera invoqué. Dès lors, les forces sont définies comme un concept général renvoyant à une caractéristique positive (Niemiec et Pearce, 2021).
L’approche des points forts et des talents
Définitions conceptuelles
Les points forts sont définis par comme une quasi-perfection constante dans une activité (Clifton, Anderson et Schreiner en 2006, Buckingham et Clifton en 2008, Asplund et Blacksmith en 2012).
Ils résultent d’une combinaison entre des savoirs, des savoir-faire et des talents, ces derniers étant conceptualisés comme des modes stables et innés de pensée, de sentiment ou de comportement susceptibles d’entrainer des résultats positifs. Buckingham et Clifton (2008) distinguent les talents innés ou développés tôt dans la prime enfance et qui s’activent spontanément dans chaque situation de la vie de l’individu, des talents acquis qui s’activeront dans des situations spécifiques (élaborer un business plan, aider un usager à se développer etc.).
Les faiblesses ou points faibles sont définis, de leur côté, comme étant tout ce qui entrave l’excellence. La définition selon laquelle il s’agirait des domaines où l’on manque de compétences et de connaissances est rejetée par les auteurs car il y a forcément des domaines dans lesquels nous manquerons de compétences d’une part, mais que certains domaines sont inutiles pour atteindre l’excellence dans le rôle que l’on occupe d’autre part.
Les auteurs proposent quelques considérations conceptuelles complémentaires :
- Une activité est un point fort si on peut l’exercer constamment avec plaisir et succès.
- Il n’est pas nécessaire de posséder tous les points forts requis pour un rôle pour y exceller. La polyvalence relève selon eux plutôt d’une chimère que d’une réalité à rechercher.
- Maximiser ses points forts est nécessaire pour atteindre l’excellence. Compenser ses points faibles ne suffira pas.
Cette définition des points forts renvoie aux 34 talents classifiés par l’entreprise Gallup et évaluée par le questionnaire CliftonStrengths :
- 9 sont des talents relatifs aux efforts comme l’adaptabilité, la focalisation, l’assurance ou encore le fait d’être un activateur.
- 12 sont des talents relatifs à la réflexion comme l’analyse, la prudence, l’intellectualisme, la stratégie ou l’idéation.
- 7 sont relatifs aux rapports sociaux comme l’harmonie, l’empathie, la tendance à individualiser ou la communication.
- 6 sont enfin relatifs à l’influence comme la compétition, le commandement, la possibilité de développer les compétences d’autrui ou le charisme.
Quelques précisions sont nécessaires :
- Les talents ne répondent pas à des éléments localisés dans le cerveau mais sont des catégories artificielles réalisées à l’aide d’études sur de vastes échantillons de population et permettant de synthétiser des modes de fonctionnement. Ces modes de fonctionnement sont liés selon les auteurs à des apprentissages précoces répétés, qui ont donc renforcé certaines connexions neuronales lors de notre développement.
- Les auteurs indiquent qu’il ne convient pas de catégoriser les individus. On n’est pas « charismatique » ou « empathique » par exemple.
- Chacun est unique, l’exercice visant à classifier des talents et les évaluer chez les individus vise surtout créer un langage commun, permettre aux personnes de prendre conscient de leurs talents et des caractéristiques de fonctionnement qu’ils peuvent avoir en commun ou qui peuvent différer avec d’autres personnes.
- Les thèmes ne s’opposent pas, même si certaines combinaisons peuvent de prime abord sembler contradictoires.
- Il faut voir ces différents thèmes comme étant interconnectés. Ils interagissent et s’influencent chez chaque individu, et ces combinaisons rendent chacun unique.
- Les auteurs indiquent que les talents sont stables et ne changent pas rapidement, ce constat a été corroboré par Asplund en 2019. Toutefois, Buckingham et Clifton réfutent une logique déterministe et évoquent la possibilité de développer de nouveaux savoirs et savoir-faire qui permettront aux talents de chacun de s’exprimer dans de nouveaux contextes professionnels. Ils citent parmi plusieurs exemples une journaliste, dont les talents d’empathie et de commandement avaient pu lui permettre de développer des points forts lui donnant une brillante carrière et qui s’était réorientée ensuite dans une seconde carrière en tant que thérapeute intervenant en soins palliatifs, après avoir refait des études. Elle parvenait à exploiter ces 2 mêmes talents dans sa nouvelle carrière. En somme, si on ne peut pas changer de talents comme on le souhaite, on peut développer des points forts, pour reprendre la sémantique des auteurs.
Découvrir ses talents
Buckingham et Clifton (2008) évoquent deux méthodes pour découvrir ses talents.
La première vise à s’auto-observer pour prendre conscience de son fonctionnement. Les auteurs citent plusieurs signes permettant de faire l’hypothèse d’un talent :
- Nos réactions spontanées aux situations rencontrées.
- Nos désirs forts, notamment ceux apparus précocement, qui peuvent ou non avoir été réprimés pour diverses raisons (pressions sociales, financière etc.).
- Les apprentissages rapides que l’on parvient à avoir vis-à-vis de certains nouveaux savoir-faire.
- Nos sources de satisfaction, quand on se sent bien en réalisant une activité.
La seconde méthode consiste à utiliser un outil, en l’occurrence les auteurs citent l’outil commercialisé par l’entreprise Gallup, le StrenghtsFinder désormais renommé CliftonFinder en hommage à Donald O. Clifton. Cet outil évalue les réactions spontanées du répondant face à des propositions venant toujours par paires et entre lesquelles il doit choisir dans un temps limité. En faisant la synthèse de ces réactions, le questionnaire propose d’identifier le fonctionnement psychologique du répondant et d’identifier ses 5 talents dominants et distinctifs.
Initialement, l’outil a été développé grâce à des entretiens semi-directifs réalisés pendant plus 30 ans et visant à comprendre ce qui permettait d’atteindre l’excellence auprès d’une grande diversité de professions et dans différents pays (Asplund et al. en 2014, Buckingham et Clifton en 2008). La classification en 34 talents résultant de cette étude se veut culturellement universelle (Buckingham et Clifton, 2008). Les propriétés psychométriques du questionnaire ont été testées et confirmées comme correctes pour la version originale (Asplund et Blacksmith en 2012, Asplund et al. en 2014, Asplund en 2019, Buckingham et Clifton en 2008). Nous n’avons pas trouvé d’information sur la méthode d’adaptation utilisée pour les autres langues ni de données concernant les tests psychométriques dans ces versions.
Pour être mis en œuvre de façon efficace dans une organisation, une étude de validité concourante est préconisée afin de comprendre les talents qui permettent d’atteindre l’excellence dans le contexte spécifique de l’organisation, et ce pour chaque rôle occupé (Buckingham et Clifton en 2008). Cela rejoint les préconisations associées à beaucoup d’évaluations psychologiques ayant vocation à être prédictives (comme par exemple l’évaluation de la personnalité selon le modèle du big five pour réaliser un recrutement prédictif).
Après l’identification des talents, comment développer et utiliser ses points forts ?
De façon générale, Asplund et Blacksmith (2012) évoquent qu’une démarche de développement centrée sur les points forts repose sur l’identification des talents, dans le but se développer professionnellement d’une façon qui permette d’augmenter la fréquence d’expériences positives subjectives vécues par l’individu. Ces interventions de développement peuvent prendre des formes diverses, individuelles ou collectives, de formation ou de coaching. L’objectif est principalement que l’individu expérimente ses talents et développe ses points forts.
Dans leur livre, Buckingham et Clifton (2008) citent plus précisément trois échelles d’action.
L’échelle individuelle :
L’individu peut découvrir ses thèmes de talents, les combiner à des savoirs et savoir-faire et les exercer pour développer ses points forts. Les auteurs précisent que travailler sur ses 5 talents privilégiés est l’histoire de toute une vie tant la différence entre l’ordinaire et l’excellent peut tenir à peu de choses.
L’échelle managériale :
Le manager a un rôle important. Il est tout d’abord nécessaire qu’il puisse individualiser son management en comprenant que chacun des collaborateurs est unique et fonctionne d’une façon spécifique. Il est également nécessaire qu’une relation de confiance existe entre le manager et le travailleur qu’il encadre, sinon ses intentions pourraient être mal-interprétées. Une des difficultés que peut rencontrer le manager dans cet exercice consiste en le fait que l’organisation standardise trop les procédures et rapports sociaux au travail, lui laissant peu de marges de manœuvre. Une autre difficulté renvoie au manque de temps que peut avoir le manager pour … manager. Pour répondre à cette difficulté de temps pour les managers, les auteurs proposent dans leur livre des conseils « types » en fonction des talents qui auraient été identifiés chez leurs collaborateurs. Toutefois, ils précisent que cela ne remplacera jamais le fait d’accorder du temps à un salarié, échanger avec lui et vérifier le style managérial qui lui convient.
L’échelle organisationnelle :
L’organisation, enfin, a un rôle majeur. Deux idées fondamentales sont à garder en tête : chaque individu est unique, et l’excellence est liée au fait d’exploiter au mieux les talents et points forts de chacun. A partir de ces bases, les auteurs émettent trois grandes catégories de préconisations :
Préconisation 1 : Mettre en place un système de sélection du personnel basé sur les points forts. Pour cela, ils conseillent de choisir un outil permettant d’évaluer les talents qui présente de bonnes qualités psychométriques et permette une objectivité et une fidélité inter-juges, et citent évidemment celui proposé par Gallup. Ensuite, nous rappelons qu’ils conseillent d’étalonner l’outil sur les rôles de l’organisation, notamment en faisant une étude de validité concourante à l’aide d’un spécialiste en statistiques ou en psychométrie. Il est également nécessaire de partager le langage des talents pour améliorer les offres d’emploi, mieux filtrer les candidats qui répondront à l’offre et faciliter l’intégration de ce critère dans la sélection qu’opéreront les managers. En plus de ces conseils, les auteurs proposent de dresser un inventaire des thèmes de talents présents dans l’organisation, et de le mettre à disposition des managers, pour faciliter les actions de gestion des emplois et des parcours professionnels. Pour finir, ils suggèrent d’étudier les liens entre le talent mesuré et la performance en exploitant un ensemble de données (entretiens professionnels, satisfaction client, corrélations entre le moyen de sourcing ou le canal de diffusion des offres et le recrutement de salariés possédant les talents pertinents pour leur rôle, corrélation entre ces moyens de recrutement et le turnover etc.) afin de légitimer cette approche.
Préconisation 2 : Mettre en place un système de gestion de la performance basé sur les points forts. Tout d’abord, la performance peut être évaluée en termes d’impact sur la performance économique (ventes, nombre d’erreurs, vols …), d’impact sur le client interne ou externe (satisfaction usager ou client par exemple) et d’impact sur son entourage professionnel et la culture de l’organisation. A partir de cette définition, les auteurs distinguent les organisations qui formalisent et contrôlent le processus amenant à la performance des organisations qui misent sur les points forts de leurs collaborateurs et respectent leur unicité pour atteindre les performances. Les conseils qui suivent concernent donc la deuxième approche. Les auteurs invitent à trouver la meilleure méthode pour évaluer la performance sous les trois aspects cités plus haut (impact économique, impact sur le client, impact sur la culture), et ils suggèrent d’utiliser des questionnaires sur les deux derniers aspects. Ils invitent à créer une fiche d’évaluation pour chaque salarié, mise à jour deux fois par an, permettant de mettre en pratique les valeurs de l’organisation, de résumer les évaluations du travailleur et de lui faire prendre conscience de sa performance dans son rôle et des attentes de son employeur à son égard. Les auteurs appellent à obliger chaque manager à avoir une discussion avec ses collaborateurs sur leurs points forts en interrogeant des thèmes comme les talents dominants du collaborateur, comment ils peuvent les aider à être plus performant au travail, les savoir-faire ou expériences qu’ont les salariés pour transformer leurs talents en points forts et le style de management qui serait adapté à cet effet. En plus de cet échange, ils invitent à organiser pour chaque salarié des réunions régulières, prévisibles et productives avec leur manager afin d’articuler toutes les actions centrées sur le talent, de renforcer la prise en compte des talents et besoins spécifiques de chaque salarié et de renforcer les relations entre collaborateurs et responsables.
Préconisation 3 : Mettre en place un système de développement professionnel basé sur les points forts. Les auteurs remettent en cause l’idée selon laquelle évoluer dans la hiérarchie serait la seule réponse pour récompenser un salarié ayant de bonnes performances. Ils mettent en avant qu’on peut être excellent dans un rôle car on peut mettre en œuvre nos talents et nos points forts, et très mauvais en tant que manager ou directeur car ce nouveau rôle ne nous permet pas d’exploiter nos talents. Ils invitent donc à penser à d’autres manières de faire évoluer professionnellement les collaborateurs pour leur permettre de continuer à exploiter ce qui, dans leur rôle actuel, leur permet d’atteindre l’excellence tout en valorisant leur expertise sur le sujet.
Ainsi, vous l’aurez compris, les chercheurs de chez Gallup insistent sur l’importance majeure du management et du portage de l’organisation dans ces approches centrées sur le développement des points forts (Asplund et Blacksmith en 2012, Asplund et Agrawal en 2018).
Derrière ces préconisations idéales, la première meta-analyse réalisée par l’entreprise Gallup (Asplund, Harter, Agrawal et Plowman, 2015) montre une certaine diversité des interventions basées sur les points forts et talents dans les organisations. En effet, ils indiquent que l’idée de base est d’évaluer et prendre conscience de ses talents, mais que certaines interventions associent des pratiques de coaching pour les mettre en pratique quand d’autres non. De plus, dans certaines organisations, les interventions sont destinées aux managers tandis que dans d’autres les collaborateurs de l’équipe en bénéficient également.
Cette disparité prise en compte, la première meta-analyse en question est plutôt encourageante concernant les conséquences positives des interventions basées sur les points forts et talents pour les organisations : amélioration de l’engagement des clients, amélioration de l’engagement des salariés, augmentation de la productivité, baisse des incidents liés à la sécurité, augmentation des ventes et baisse du turnover dans les organisations ayant un faible comme un fort taux de turnover. Asplund et Blacksmith en 2012 citaient également, dans un chapitre de livre, des effets positifs au travail tels que l’amélioration de la communication, des relations sociales et de l’efficacité collective, en complément des effets déjà cités. Une meta-analyse menée par Asplund et Agrawal (2018) démontre que les effets positifs sur l’engagement sont plus importants lorsque les individus reçoivent un retour sur leurs 34 talents par rapport au fait de n’avoir un retour que sur les 5 talents privilégiés.
Une recherche canadienne a été menée pour vérifier la relation entre l’utilisation des points forts et la performance, puis comprendre ce phénomène (Dubreuil, Forest et Courcy, 2014). La relation entre l’utilisation des points forts et la performance est confirmée. Cette relation est médiatisée par la passion harmonieuse (forte inclinaison envers une activité qu’on aime, qu’on trouve importante, dans laquelle on investit temps et énergie et à laquelle on s’identifie), la concentration et la vitalité subjective (conscience d’être vivant et d’avoir de l’énergie). Cette étude est intéressante car il s’agit d’une étude indépendante de l’entreprise Gallup, contrairement à nos autres références bibliographiques citées jusqu’alors sur cette thématique. Toutefois, les chercheurs appellent à rester humble car de nombreuses limitations existent, comme c’est souvent le cas dans la recherche, notamment car il s’agit de questionnaires auto-rapportés et non de performances mesurées selon les critères des entreprises par exemple, on est donc sur du subjectif. Ces résultats, certes encourageants, doivent donc mener à d’autres recherches, et notamment indépendantes, avec un design expérimental rigoureux.
Ce besoin de mener d’autres recherches est également cité par Asplund et Blacksmith (2012), qui indiquent que l’étude de ces effets reste d’actualité pour Gallup, l’entreprise cherche notamment à comprendre le rôle modérateur que peut avoir l’engagement des salariés dans la relation entre le développement des points forts et les conséquences positives découvertes. D’autres recherches restent également à mener pour comprendre les liens entre points forts et résilience, les liens entre points forts et comportements prosociaux et citoyens ou encore les liens entre cette approche et le leadership, notamment via le paradigme de la déviance positive.
Certains chercheurs, comme Tal Ben-Shahar et Angus Ridgway (2018), ont exploité l’approche des points forts afin de conceptualiser des modèles de leadership. En l’occurrence, le modèle SHARP invite, entre autre, à identifier ses points forts et leur consacrer davantage de temps qu’aux points faibles, sans pour autant ignorer ceux-ci. Ils reprennent donc ici la position défendue par l’approche des points forts et des talents et incitent les individus à trouver leur zone de potentiel maximum : jonction entre ce qu’ils nomment leurs « atouts performance » et leurs « atouts passion », puis de favoriser les expériences de maîtrise. Les dirigeants ont, selon les auteurs, une responsabilité manager en introduisant une culture des points forts dès le recrutement et dans le fonctionnement de l’organisation. Ils incitent également les dirigeants à diversifier les équipes pour induire une « polyvalence d’équipe » plus qu’une polyvalence de personnes et pour favoriser la rencontre des conditions qui permettront à chacun de trouver et exploiter ses zones de potentiel maximum. Les auteurs précisent que c’est en croyant en ces points forts, en incarnant cette philosophie et en maintenant une exigence suffisante que les dirigeants pourront permettre à leurs collaborateurs d’exploiter leurs points forts.
Certains pièges à éviter
Plusieurs pièges à éviter sont cités par Buckingham et Clifton (2008).
Le premier est évident car contrevient à la philosophie du champ conceptuel des forces : se focaliser sur ses lacunes et non sur ses talents. Selon les auteurs, cela peut advenir à cause de la peur de ses faiblesses, de la peur de l’échec ou de la peur de soi comme lors du syndrome de l’imposteur.
Le second piège à éviter est d’ignorer ses points faibles en se focalisant uniquement sur ses points forts. Cette alerte est également partagée par Asplund et Blacksmith en 2012. Les différents auteurs invitent non pas à ignorer les points faibles mais à mettre davantage d’efforts sur les points forts et à trouver les moyens de gérer ses points faibles, pour qu’ils n’empêchent pas d’être excellent. Le manque de connaissances, de savoir-faire ou de certains talents peut devenir une faiblesse quand on occupe un rôle qui les nécessite. Les auteurs conseillent d’abord d’identifier la faiblesse, s’il s’agit d’un manque de connaissances et de compétences le but est de les développer. Si cela n’améliore pas la situation, le problème peut être un talent. Dès lors, Buckingham et Clifton (2008) proposent 5 stratégies :
- Essayer malgré tout de s’améliorer un peu : Certains talents sont nécessaires dans beaucoup de rôles, et les travailler peut, à défaut d’approcher l’excellence, permettre que leur manque soit le moins impactant possible. Les travailler ne procurera pas de plaisir mais permettra de limiter leur impact. Si cela épuise trop, il est nécessaire d’essayer une autre stratégie.
- Trouver un palliatif, qui sera personnel et peut être de plusieurs ordres (par exemple un logiciel pour mieux s’organiser, faire des rappels, structurer son temps autrement …).
- Utiliser l’un de ses thèmes dominants pour surmonter son point faible.
- Trouver un partenaire dont les talents pourront être complémentaires aux nôtres afin de palier à nos points faibles dans le cadre d’un rôle particulier. Les auteurs regrettent d’ailleurs que le monde de l’entreprise soit désormais davantage tourné vers les chimères de candidats ultra polyvalents au détriment de la collaboration de profils complémentaires.
- Arrêter tout bonnement d’essayer de gérer son point faible. C’est une stratégie que les auteurs conseillent en dernier recours mais qui peut soulager à la fois la personne et ses collègues grâce à l’authenticité ressentie et à la prévisibilité du point faible désormais non maladroitement masqué.
Cette prise en compte des points faibles par les auteurs tend à répondre partiellement aux critiques qui peuvent parfois être formulées sur le manque d’équilibre que peut avoir une approche exclusivement centrée sur le champ conceptuel des forces. Par exemple, Kaiser et Whitte, s’appuyant sur plusieurs études, rédigeaient en 2008 un article appelant à une démarche plus équilibrée pour permettre aux managers de s’adapter aux changements inévitables auxquels ils seront confrontés et répondre aux mieux aux besoins de leur organisation.
Un troisième piège à éviter serait de considérer qu’un talent trop présent devient un point faible (par exemple, être trop dans le commandement, être trop dans l’empathie etc.). Les auteurs remettent en cause cette conception qui viserait à réprimer un talent et considèrent plutôt qu’il y a un déficit de talents complémentaires utiles au rôle de l’individu. Dès lors, la stratégie ne serait pas de réprimer un talent majoritaire mais d’utiliser l’une des stratégies permettant de compenser une faiblesse de talent. Cet avis va à l’encontre du positionnement de Kaiser et Whitte qui, en 2008, évoquaient les dangers d’une surutilisation et d’une mauvaise utilisation de ses forces, ces derniers devenant des faiblesses. Selon eux, le fait de trop utiliser et trop se reposer sur ses forces peut devenir une faiblesse car les personnes ont tendance à ne pas prendre en compte des approches complémentaires de la situation. Ils indiquent que des managers qui connaitraient mal leurs talents auraient tendance à la surutilisation de ces derniers dans un contexte non adapté à ceux-ci, qui plus est avec un évitement des approches complémentaires, conduiraient à une diminution de l’efficacité du leadership et de la performance de l’équipe. Ce risque pourrait être évité, selon eux, en garantissant une approche prenant en compte autant les forces que les faiblesses.
Un quatrième piège à éviter serait de considérer que les talents permettent d’orienter les individus vers un domaine et un rôle précis. Les auteurs précisent que des talents similaires peuvent permettre d’atteindre l’excellence dans une multitude de domaines (vente, administration, enseignement etc.), il n’est donc pas pertinent de considérer que les talents X, Y et Z conduisent au domaine A alors que les talents M, N et O conduisent au domaine B par exemple. Pour ce qui est du rôle, les auteurs indiquent avoir retrouver des talents communs chez les répondants de certains rôles (médecins, pilotes etc.). Mais, sans consentir à dire que « chacun peut faire n’importe quel rôle », ils indiquent que la stratégie la plus pertinente est d’adapter notre rôle pour qu’il exploite au mieux nos talents. Pour illustrer, ils citent deux pilotes qui ont certains talents en commun, d’autres différents, et ont eu une trajectoire de carrière différente car l’un s’est épanoui dans la formation d’autres pilotes tandis que l’autre s’est épanoui en volant grâce aux responsabilités qu’il ressentait lors des phases d’atterrissage et qui renvoyaient à certains de ses talents.
Le cinquième piège à éviter serait de promouvoir uniquement en donnant un rôle de manager, qui ne conviendrait pas aux talents des personnes, ou faire que certains rôles soient plus prestigieux que d’autres, et donc une étape nécessaire à la carrière même s’ils ne correspondent pas aux talents des personnes.
Le dernier écueil à éviter serait d’utiliser l’évaluation des talents à des fins thérapeutiques ou cliniques. Dans un rapport technique en fin de livre (Buckingham et Clifton, 2008), le directeur principal de l’étude au sein de l’entreprise Gallup précise que leur outil est principalement utilisé au travail, peut être utile pour comprendre son fonctionnement dans d’autres contextes comme la famille ou le développement personnel, nous ajouterons le système d’enseignement (Clifton, Anderson et Schreiner, 2006), mais n’est pas destiné aux diagnostics ou à des évaluations psychiatriques.
Pour compléter cette liste d’écueils, nous pouvons également citer l’alerte de Ben-Shahar et Ridgway (2018) concernant le fait que certaines personnes ont tendance à adopter une mentalité arrêtée (considérer les choses comme immuables) tandis qu’une approche centrée sur les points forts nécessite une mentalité de progrès (faire des efforts en exerçant et continuant à développer ses points forts, encourager les personnes à faire cela) pour obtenir des résultats positifs.
L’approche des forces de caractère et des vertus
Définitions conceptuelles
Peterson et Park (2011) nous proposent les concepts suivants :
- Les vertus sont définies comme des caractéristiques fondamentales valorisées par les philosophes moraux et les penseurs religieux.
- Le caractère renvoie à un ensemble de traits positifs qui ont émergé à travers les cultures et l’histoire comme étant essentiels à une bonne vie.
- Les forces de caractère, pour finir, sont les ingrédients psychologiques qui définissent les vertus. Elles sont des voies qui permettent de manifester une vertu. Elles revêtent forcément une valeur morale (comme la gentillesse par exemple) contrairement à d’autres traits de personnalité (l’extraversion par exemple).
Niemiec et Pearce (2021) proposent la définition suivante, que nous trouvons plus explicite concernant l’aspect moral : les forces de caractère sont définies comme des traits de personnalité positifs qui reflètent notre identité, produisent des résultats positifs pour nous même et pour les autres et contribuent au bien collectif.
Selon Seligman (2023a), accéder à « une vie bonne » renvoie au fait de parvenir à vivre des gratifications. Si les plaisirs peuvent être corporels ou complexes, procurent des émotions positives temporaires et peuvent être facilités par diverses méthodes et raccourcis pour mener à « une vie agréable », les gratifications, plus durables, dépendent en revanche du fait de pouvoir mettre en application ses forces de caractère. Si l’on parvient à mettre ses forces de caractère au service de quelque chose qui est plus grand que soi-même, on peut même vivre ce que l’auteur a distingué comme « une vie riche de sens ». Vivre « une vie pleine » est définie par l’auteur comme une expérience de ces trois types de vies.
Niemiec et Pearce (2021) présentent également six principes clés pour ce concept de forces de caractère :
- Ce sont des capacités pour penser, ressentir ou agir. Ainsi, elles peuvent être développées et améliorées, et ont une influence sur l’évolution de notre personnalité.
- Il ne s’agit pas de catégories et on n’est pas « curieux » ou « créatif », mais il s’agit de traits continus qui s’expriment en degrés (on est plus ou moins curieux, plus ou moins créatifs etc.). Ce principe entraine le fait que les forces de caractères peuvent être sur-exprimées ou sous-exprimées, avec des impacts différents selon les situations.
- Il faut considérer les forces de caractère comme étant en interaction. On n’est pas juste « curieux » ou « créatif » ou « courageux ». Ces forces s’expriment de façon combinée en fonction des situations.
- Les forces de caractères sont universelles (Seligman préfère les qualifier d’ubiquistes pour répondre aux nécessaires exceptions qui peuvent exister), et toutes les forces de caractère sont importantes. En revanche, on va accorder plus d’importance à certaines en fonction de la situation ou du but recherché.
- Il y a beaucoup de formes de forces dans le champ conceptuel des forces. Mais les auteurs indiquent que les forces de caractère permettent aux autres types de forces, comme les talents, de s’exprimer et se développer.
- Il faut considérer à la fois l’être et le faire avec les forces de caractères. Elles participent à notre identité (par exemple, « je suis quelqu’un de plutôt authentique ») et peuvent guider nos actions (par exemple, « je souhaite avoir un comportement authentique dans mes relations »).
Les forces de caractère et vertus ainsi conceptualisées renvoient à la classification VEA (valeurs en action). Une présentation de la genèse de ce projet est présentée par Peterson et Park en 2011. En complément, les auteurs précisent les critères qu’ils ont retenu pour savoir si une force pouvait être classée dans les forces de caractère. Ils indiquent que toutes, parmi les 24 retenues, ne présentent pas l’intégralité de ces qualités mais que, pour chacune, la majorité des critères étaient satisfaits.
- L’ubiquité : qu’elle soit reconnue et valorisée dans diverses cultures.
- L’aspect satisfaisant : qu’elle contribue à l’épanouissement individuel, à la satisfaction et au bonheur.
- L’aspect moralement valorisé : qu’elle soit valorisée pour elle-même et non comme moyen d’atteindre une fin (c’est notamment cette caractéristique qui distingue les forces de caractère du talent, selon les auteurs).
- Qu’elle ne diminue pas autrui mais élève ceux qui sont témoin de son expression (par exemple, quelle ne provoque pas de la jalousie mais plutôt de l’admiration).
- Qu’elle possède des antonymes évidents et négatifs.
- Qu’elle soit caractéristique d’un trait, et non d’un état par définition non stable.
- Qu’elle soit mesurable.
- Qu’elle ait un caractère distinct et ne soit pas redondante avec une autre force de caractère.
- Qu’elle soit incarnée de manière frappante par certains individus, servant de modèles idéaux.
- Quelle soit manifestée de manière précoce par certains enfants ou adolescents, faisant office de prodiges.
- Qu’elle soit totalement absente chez certains individus.
- Qu’elle soit la cible de pratiques et de rituels sociétaux qui tendent délibérément de la cultiver.
La classification actuelle répertorie donc 24 forces de caractères réparties en 6 vertus fondamentales que nous vous listons, mais plus de précisions sont présentes dans le livre de Seligman (2023a) :
- La sagesse et la connaissance : la curiosité et l’intérêt vis-à-vis du monde, l’amour de l’apprentissage, la pensée critique et l’ouverture d’esprit, l’ingéniosité et l’intelligence pratique, l’intelligence sociale et l’intelligence émotionnelle, la perspective.
- Le courage : la bravoure, la persévérance, l’intégrité et l’authenticité.
- L’amour et l’humanité : la gentillesse et la générosité, l’amour.
- La justice : la citoyenneté et la loyauté, l’impartialité et l’équité, le leadership.
- La tempérance : la maitrise de soi, la prudence et la discrétion, l’humilité et la modestie.
- La spiritualité et la transcendance : l’appréciation de la beauté et de l’excellence, la gratitude, l’espoir et l’optimisme, la spiritualité et la religiosité, le pardon et la clémence, l’humour et l’espièglerie, l’entrain et l’enthousiasme.
Découvrir ses forces de caractère
Pour découvrir ses forces de caractères, il est proposé de passer l’index des forces de caractères sur le site de l’institut VAE (viacharacter.org). Ce questionnaire propose une série d’affirmations pour lesquelles il est demandé au répondant de se positionner en utilisant une échelle de Likert lui permettant d’exprimer si l’affirmation lui ressemble ou non. En synthétisant les résultats, un rapport gratuit est ensuite disponible montrant le classement de ses différentes forces de caractères. Des rapports payants peuvent être achetés par le répondant pour avoir des informations plus complètes sur ses forces de caractère « signature » ou sur l’intégralité de ses 24 forces de caractère.
Les qualités psychométriques ont été testées pour la version anglaise et sont présentées sur le site de l’institut VAE. Le lien est en bibliographie pour tout lecteur qui souhaiterait les consulter. Nous n’avons pas trouvé d’information sur la méthode d’adaptation utilisée pour les autres langues ni de données concernant les tests psychométriques dans ces versions. Nous pouvons toutefois faire l’hypothèse que certaines adaptations sont bien évaluées dans la mesure où les pages sur les propriétés psychométriques de différentes versions du questionnaire précisent que les adaptations dans certaines langues sont toujours considérées comme en développement, en attendant d’avoir suffisamment de données pour réaliser les tests psychométriques. Cependant, aucune version française n’est citée dans ces pages sur le site et nous identifions que les rapports en français sont imparfaits (nom des vertus en anglais et nom des forces de caractère en français par exemple), il est donc possible que la version française résulte d’une simple traduction pour le moment. Il convient donc d’être vigilant sur l’utilisation qui sera faite du questionnaire.
Mettre en pratique les forces de caractère
Dans son livre, Seligman (2023a) différencie :
- L’emploi, que l’on réalise pour le salaire qu’il nous procure.
- La carrière, que l’on développe pour le salaire et les promotions envisagées.
- La vocation, lorsque l’on réalise nos activités pour elles-mêmes.
Le fait d’identifier ses forces de caractère et vertus permet, selon l’auteur, de favoriser le passage d’un emploi ou une carrière à une vocation. Cela permet également de lutter contre certaines conséquences négatives associées à des emplois pourtant valorisés (il cite notamment l’exemple des avocats américains qui, malgré le salaire et le prestige associés à la profession, sont insatisfaits et à risque de dépression et de toxicomanie accrue, et que le secteur a pu vivre des vagues de démission qui appellent à s’interroger sur les moyens de fidéliser les collaborateurs) et de maximiser l’expérience du flux (défini par Seligman comme une émotion positive sur le présent sans pensée consciente ni sensation éprouvée).
Plusieurs pratiques sont préconisées par l’auteur :
- Identifier ses forces de caractère.
- Choisir un travail qui permet de les utiliser chaque jour.
- Réajuster son travail actuel pour utiliser plus souvent ses forces de caractère personnelles.
- En tant qu’employeur : choisir des employés dont les forces de caractère correspondront au travail à effectuer.
- En tant que manager, permettre aux employés de réajuster leur travail dans la limite des objectifs poursuivis par l’organisation et l’équipe.
Niemiec et Pearce en 2021, par souci de synthèse, définissent les approches ou pratiques basées sur les forces de caractère comme des pratiques habilitantes, qui favorisent la sortie d’une posture passive et favorisent les connexions et dans lesquelles les praticiens, en fonction de leur orientation et de leur conception de l’aide à offrir, incarnent et mettent en scène leurs forces de caractères quand ils enseignent à leurs clients ou usagers ce concept et les aident à utiliser leurs propres forces de caractère pour améliorer leur bien-être et faire face à l’adversité.
En effet, les auteurs ont identifié 7 points communs aux approches centrées sur les forces de caractère :
- Le professionnel sert de modèle en ce qui concerne la connaissance de ses forces et leur utilisation, leur mise en pratique.
- Le praticien enseigne le concept de forces, explique leur importance et corrige les mauvaises conceptions (ex : miser sur les forces et ignorer les faiblesses) et permet à l’utilisateur de cheminer vers l’utilisation de ses forces.
- Le praticien permet à l’usager de sortir des tendances à fonctionner en routine, en mode autopilote et à sortir d’un fonctionnement ne prenant pas en compte les forces de la personne.
- Il aide les personnes à opérer un glissement, passer de ce qui ne fonctionne pas à ce qui fonctionne, ou à utiliser ce qui fonctionne bien pour surmonter ce qui ne va pas.
- Il reconnait les problèmes et, si c’est approprié par rapport à son rôle et au contexte, les explore sans s’y perdre et sans écraser les aspects positifs.
- Une approche centrée sur les forces favorise les connexions car aide la personne à se connecter plus efficacement avec les autres, avec le monde et avec ce qu’ils sont. Cette connexion est également présente avec le praticien.
- Cette intervention offre une approche descriptive plus que prescriptive pour permettre aux usagers de prendre conscience, explorer leurs forces et développer des actions positives.
Lorsqu’ils se sont intéressés aux pratiques utilisées dans les interventions centrées sur les forces de caractère, Niemiec et Pearce (2021) ont pu remarquer qu’elles pouvaient être classées en 3 catégories :
- Les pratiques déjà établies, disposant de recherches scientifiques, comme le fait de prioriser les forces plutôt que les défauts, utiliser l’index des forces de caractère pour découvrir les siennes, explorer et encourager l’utilisation de forces « signature », encourager le repérage de leur mise en pratique dans la vie de tous les jours ou encore le lien entre leur mise en application et le bien-être par exemple.
- Les pratiques émergeantes pour lesquelles il existe encore peu de recherche, et qui doivent donc encore être étudiées. On parlera notamment ici du lien entre forces de caractère et résilience, du lien entre forces de caractère et pleine conscience ou encore des questions de surutilisation, sous-utilisation et utilisation optimale des forces de caractère par exemple.
- Les pratiques qui nécessitent une investigation scientifique. On parlera notamment ici des confrontations ou synergies entre les forces de caractère des personnes, des forces de caractère plus situationnelles ou de l’impact de l’utilisation d’une force de caractère sur les autres forces par exemple.
Quoi qu’il en soit, les auteurs insistent sur la nécessité de continuer les recherches et développer la connaissance sur le sujet.
Les mêmes chercheurs ont identifié que le contexte professionnel et le contexte éducatif font partie des domaines les plus étudiés en ce qui concerne le champ conceptuel des forces de caractère. Pour le contexte professionnel, qui nous intéresse ici, ils indiquent que les forces de caractère sont liées à des conséquences positives sur la performance, la satisfaction au travail, l’engagement, le bien-être au travail, l’amélioration du climat social, l’efficacité personnelle, les comportements proactifs et la capacité de faire face au stress professionnel par exemple.
Selon Rego, Clegg et Pina e Cunha (2012), les forces de caractère et vertus auraient une importance pour la performance des leaders globaux (présidents, vices présidents, directeurs généraux, directeurs ou managers avec des activités de leadership global) dans leurs différentes attributions. Leur chapitre, cité en bibliographie, liste les avantages de chaque vertu. Pour faire simple, les leaders globaux présentant certaines forces de caractère et vertus et les mettant en œuvre dans leur attitude et leurs décisions peuvent amener les organisations à un fonctionnement plus vertueux d’une part, et peuvent permettre de transmettre ces caractéristiques aux futurs leaders en devenant des sortes de modèles. Toutefois, les auteurs indiquent également qu’il est nécessaire de penser la complexité de ces rôles, nécessitant parfois une combinaison de forces de caractère dans certaines missions et nécessitant également de considérer qu’un excès de certaines forces peut être dommageable à certains contextes. Les auteurs appellent à faire davantage de recherche concernant les forces de caractères et vertus des leaders globaux de sociétés en réussite pour mieux comprendre le domaine, et ils invitent à investiguer les variables médiatrices qui pourraient exister.
Dubreuil et ses collaborateurs, en 2016, ont réalisé une étude afin d’évaluer l’impact d’une intervention centrée sur les forces de caractère sur le bien-être, la performance, la passion harmonieuse, la vitalité subjective et la concentration. Le schéma expérimental consistait en une évaluation avant l’intervention, la survenue de l’intervention puis une nouvelle évaluation trois mois après celle-ci. L’intervention évaluée comprenait 3 étapes. La première était la découverte par les participants de leurs forces de caractère suivie par un questionnaire pour les encourager à s’approprier les résultats. La deuxième consistait en des rencontres collectives avec les participants deux semaines plus tard pour leur permettre d’intégrer ces forces de caractère concrètement dans leur vie en réfléchissant à leur matérialisation dans le passé, le présent et le futur. La dernière suivait immédiatement et visait à inciter les participants à mettre en œuvre leurs forces de caractère, il leur était demandé différentes choses relatives à la possible mise en application de leurs forces de caractère en situation de travail puis un échange avec les collègues avait lieu et, pour conclure cette intervention, le facilitateur encourageait les participants à continuer à découvrir et utiliser leurs forces au travail. Les résultats démontrent que ce dispositif d’intervention n’a pas tant permis aux participants de prendre plus conscience de leurs forces de caractère mais a amélioré leur mise en pratique en contexte professionnel, avec l’hypothèse que cela leur a permis de faire plus attention à leurs forces de caractère et à trouver le meilleur moyen pour les mettre en pratique. Les résultats démontrent une amélioration du bien-être des participants, ce qui rejoint la littérature scientifique comme le précisent les auteurs. Cependant, les résultats ne montrent pas une amélioration de la performance après l’intervention, les chercheurs faisant plusieurs hypothèses (utilisation du concept de forces de caractère contrairement à d’autres études utilisant d’autres types de forces comme les talents, design d’intervention différent, manque d’assistance pour assurer le transfert des acquis de l’entrainement aux forces de caractère dans l’environnement de travail après l’intervention, manque de délai avant la seconde évaluation …). Les résultats ne montrent pas de différence significative concernant la concentration, la vitalité subjective et la passion harmonieuse, ce qui peut s’expliquer selon les auteurs par un délai trop court entre l’intervention et la seconde évaluation. Les chercheurs invitent cependant à continuer les études sur la thématique, notamment avec des designs expérimentaux plus solides (avec un groupe contrôle, davantage de mesures etc.).
De nouvelles questions méritent davantage d’investigation. Ruch et ses collaborateurs en 2020 en donnaient quelques exemples. Les interventions doivent-elles être personnalisées ou génériques ? Sur quelles forces intervenir ? Doit-on se focaliser sur les forces de caractère qui ont un lien démontré avec certaines conséquences positives ? Quel est le rôle des forces de caractère « signature » ? Est-ce qu’une intervention basée sur les forces de caractère peut modifier nos positionnements sur certaines forces ? Quels arguments pourraient justifier une intervention ? Les auteurs concluent en indiquant que ce thème est enthousiasmant mais mérite encore beaucoup de travail, et nous rejoignons cette vision.
Points communs et divergences entre les deux approches
A la lecture de notre article, les différences conceptuelles entre les points forts et talents et les forces de caractères et vertus sont évidentes. Toutefois, nous pouvons citer Seligman (2023a) qui les résumait ainsi :
- Les forces de caractère et vertus sont une caractéristique morale alors que les talents ne relèvent pas de la morale.
- Il est plus difficile d’accroître ses talents que ses forces de caractère. En général, il s’agit plutôt de perfectionner un talent existant déjà.
- Les talents sont spontanés et automatiques, là où les forces renvoient à un acte volontaire. Le choix, au niveau du talent, est surtout lié à la manière de le perfectionner et le lieu ou le moment de l’utiliser.
Nous pouvons ajouter une autre différence importante : le concept de points forts et de talents rejette l’idée d’un « excès » de talent là où le concept de forces de caractère accepte l’idée d’une présence trop « forte » d’une force de caractère.
Ainsi, nous pouvons voir que le concept des forces de caractère et vertus ne remplace pas l’approche des points forts et des talents, mais il est un concept à part entière.
Les deux approches partagent toutefois une philosophie commune issue de la psychologie positive : investir sur les forces plutôt que sur les faiblesses. Les méthodologies d’intervention présentent également des caractéristiques communes : favoriser l’identification des forces de caractères ou des talents, favoriser leur mise en application régulière dans le but d’obtenir des effets positifs comme la fidélisation des collaborateurs, la performance, la santé ou l’expérience du flux. Le rôle du manager et de l’organisation est, pour l’application en contexte de travail, chaque fois essentiel. Dans cette relation entre les pratiques managériales et l’utilisation de ses forces, au sens large, par un salarié, nous ajouterons ici que Wang et Ding (2023) ont proposé que le sentiment d’efficacité personnelle et le sentiment d’insécurité de l’emploi pouvaient être des variables médiatrices. Différentes implications pratiques ressortent alors : la pratique des forces renforce le sentiment d’efficacité personnelle et doit être encouragée par le manager, le sentiment d’insécurité peut être réduit en limitant les ambiguïtés de rôle, les conflits de rôle et en favorisant, chez les collaborateurs, un lieu de contrôle interne (impression que ce qui nous arrive dépend de nos actions) et en développant leur employabilité.
Pour conclure, nous souhaitons citer Niemiec et Pearce (2021) pour qui les forces de caractère sont des éléments différents des talents ou autres forces, mais qui peuvent favoriser leur expression. Nous pensons que ce champ conceptuel des forces est très intéressant, mais mérite une plus importante investigation de la recherche, si possible avec des équipes dont une partie ou la totalité des chercheurs sont non affiliés aux entreprises et instituts impliqués, pour étayer les allégations diverses et variées concernant les conséquences positives que peuvent en tirer les individus et les organisations, découvrir des pratiques d’intervention favorisant celles-ci et mieux comprendre la relation entre les différents types de forces et ces résultats. En complément, étayer ces recherches en évaluant l’influence d’autres variables, comme le propose Seligman (2023b) en suggérant que le mode d’explication optimiste ou pessimiste importe dans le potentiel des individus et la possibilité de l’identifier puis l’exploiter, nous apparait nécessaire.
Pour aller plus loin sur la thématique, nous vous invitons à lire ces références utilisées pour rédiger l’article :
Asplund, J. et Blacksmith, N. (2012). Productivity through strengths. Dans G. M. Spreitzer et K. S. Cameron (Dir.). The Oxford handbook of positive organizational scholarship (p. 354-365). Oxford University Press. https://doi.org/10.1093/oxfordhb/9780199734610.013.0027
Asplund, J., Agrawal, S., Hodges, T., Harter, J. K. et Lopez, S. J. (2014). The Clifton StrengthFinder 2.0 technical report : Development and validation. https://www.gallup.com/file/services/176321/clifton-strengthsfinder-technical-report-development-validation.aspx
Asplund, J., Harter, J. K., Agrawal, S. et Plowman, S. K. (2016). The relationship between strengths-based employee development and organizational outcomes. https://www.gallup.com/cliftonstrengths/en/269615/strengths-meta-analysis-2015.aspx
Asplund, J. et Agrawal, S. (2018). The effect of CliftonStrengths 34 feedback on employee engagement and sales. https://www.gallup.com/cliftonstrengths/en/270350/2018-cliftonstrengths-meta-analysis-report.aspx
Asplund, J. (2019). Stability of CliftonStrengths results over time. https://www.gallup.com/file/cliftonstrengths/en/312638/stability-cliftonstrengths-results-time.pdf
Clifton, D. O., Anderson, E. C. et Schreiner, L. A. (2006). StrengthsQuest : Discover and develop your strengths in academics, career and beyond (2e éd.). Gallup Press.
Dubreuil, P., Forest, J. et Courcy, F. (2014). From strengths use to work performance : The role of harmonious passion, subjective vitality and concentration. The journal of positive psychology, 9(4), 335-349. https://doi.org/10.1080/17439760.2014.898318
Dubreuil, P., Forest, J., Gillet, N., Fernet, C., Thibault-Landry, A., Crevier-Braud, L. et Girouard. S. (2016). Faciliting well-being and performance through the development of strengths at work : Results from an intervention program. International journal of applied positive psychology, 1, 1-19. https://doi.org/10.1007/s41042-016-0001-8
Kaiser, R. B. et White, R. P. (2008). Strength test : Debunking an unbalaced approach to development. Leadership in action, 28(5), 8-12. https://doi.org/10.1002/lia.1261
Martin-Krumm, C. et Tarquinio, C. (Dir.) (2011). Traité de psychologie positive. De Boeck Supérieur.
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Peterson, C. et Park, N. (2011). Forces de caractère et vertus : Leur classification et leur évaluation. Dans C. Martin-Krumm et C. Tarquinio (Dir.). Traité de psychologie positive (p. 233-248). De Boeck Supérieur.
Rego, A., Clegg, S. et Pina e Cunha, M. (2012). The positive power of character strengths and virtues for global leaders. Dans G. M. Spreitzer et K. S. Cameron (Dir.). The Oxford handbook of positive organizational scholarship (p. 367-382). Oxford University Press https://doi.org/10.1093/oxfordhb/9780199734610.013.0028
Ruch, W., Niemiec, R. M., McGrath, R. E., Gander, F. et Proyer, R. T. (2020). Character strengths-based interventions : Open questions and ideas for future research. The journal of positive psychology, 15(5), 680-684. https://doi.org/10.1080/17439760.2020.1789700
Seligman, M. E. P. et Csikszentmihalyi, M. (2000). Positive psychology : An introduction. American psychologist, 55(1), 5-14. https://doi.org/10.1037/0003-066X.55.1.5
Seligman, M. E. P. (2023b). Apprendre l’optimisme : Le pouvoir de la confiance en soi et en la vie (traduit par L. Cohen). J’ai lu.
VIA Institute on Character. (s. d.). VIA assessments. https://www.viacharacter.org/researchers/assessments#
Wang, F. et Ding, H. (2023). Strengths-based leadership and employee strengths use : The role of strengths self-efficacy and job insecurity. Journal of work and organizational psychology, 38(1), 47-54. https://doi.org/10.5093/jwop2023a6