Dans un contexte où le temps de travail redevient un sujet d’actualité, avec notamment des expérimentations sur de nouveaux rythmes de travail dans diverses entreprises à l’international et des invitations prononcées par le premier ministre français à expérimenter la semaine de 4 jours dans la fonction publique, nous souhaitions vous partager une conférence réalisée en janvier 2023 par Albert Moukheiber, psychologue et docteur en neurosciences, sur notre rapport au travail pour Imagine LA, autrefois nommé Conseil de développement de Loire Atlantique, qui organise notamment des conférences, interviews ou ateliers citoyens pour valoriser l’intelligence collective.
Après avoir défini la science, les sciences cognitives et leurs complémentarités, Albert Moukheiber aborde les rythmes et modalités du travail en revenant notamment sur l’évolution historique des rythmes de travail puis en présentant l’expérimentation de la semaine de 4 jours qu’il a pu étudier chez l’entreprise Welcome to the jungle. Il y précise le protocole de recherche, les conditions de l’expérimentation et l’impact psychologique sur les salariés de cette expérimentation (stress, facteurs sociaux, satisfaction au travail, satisfaction familiale, locus of control = interne si je pense pouvoir être responsable de ce qui se passe dans ma vie et externe si je pense que cela dépend de facteurs externes comme la chance, la bienveillance d’autrui etc.) durant trois mois.
Ensuite, Albert Moukheiber revient sur le mythe de la méritocratie. Il invite à penser la thématique de la réussite ou des compétences de façon plus complexe (la réussite ne dépend pas juste d’un bon cerveau ou d’une bonne qualité éducative, mais aussi d’un bon environnement, d’un bon sommeil etc.), évoque les pièges de certaines politiques d’égalité des chances se focalisant sur l’une des thématiques (ex : accès à des lieux culturels ou établissements de bon niveau), présente le biais du survivant et son application à la méritocratie (regarder juste ceux qui ont réussi sans prendre en compte ceux qui ont échoué et faire des inférences erronées sur ce qui permet la réussite). Il précise les dangers de ce mythe de la méritocratie avec des incohérences systémiques qui peuvent avoir un impact sur l’individu.
Enfin, il aborde sur le maternalisme et le paternalisme de certaines organisations vis à vis de leurs salariés. Activités de développement personnel, forfaits thérapeutiques, actions de confort et de bien-être etc. Il y a aborde l’impact de certaines démarches mises en place par les organisations, pourtant bien intentionnées, sur le locus of control. Il y présente l’effet cobra (quand une tentative mise en place pour résoudre un problème accentue le problème en question) et son application dans les politiques publiques et au travail. Il invite à renforcer les possibilités d’agir de l’individu (et son locus of control interne, par exemple en augmentant sa rémunération ou en réduisant son temps de travail) plutôt que prendre en charge, à sa place, différentes thématiques (par exemple en contractualisant pour offrir un forfait de 8 consultations de psychothérapie à chaque salarié ou en organisant des actions de bien-être, de sport ou de développement personnel au travail). Le rôle de l’entreprise n’est pas alors de materner l’individu mais de créer un contexte de travail sain qui lui permettra d’agir par lui-même (développer son agentivité). L’entreprise doit davantage agir sur des variables comme la sécurité psychologique, la structure, la clarté, l’explicitation de l’importance de chacun et de l’impact du travail de chacun etc.
Pour conclure, il présente 3 dynamiques systémiques pouvant amener à des résultats catastrophiques :
- Quand les personnes qui décident ne sont pas ou plus impactées par leurs décisions.
- Quand il y a un problème dans la circulation des informations : on a des informations asymétriques, les informations ne circulent pas assez bien pour faciliter la collaboration, on a du mal à assumer l’incertitude et on a des communications changeantes (dire A, puis B, puis C. etc.).
- Quand un système ne sait plus se coordonner pour résoudre les problèmes, alors même que la solution est parfois connue.
Cette conférence est intéressante selon nous, notamment car Albert Moukheiber interroge nos évidences et rappelle que beaucoup de choses sont des constructions sociales, et non des pratiques basées sur nos besoins naturels, et peuvent donc être questionnées. Cette invitation à l’esprit critique nous renvoie à ce que des auteurs tels que Jeffrey Pfeiffer et Robert Sutton, dans leur livre « Faits et foutaises dans le management » dont nous vous parlerons prochainement, évoquent. Ces derniers regrettent la croyance en des idéologies, contre-vérités ou semi-vérités qui ne sont pas basées sur les données ou informations pourtant parfois à disposition mais qui génèrent des pratiques parfois pathogènes ou néfastes pour les organisations. Ils invitent à développer une réflexion plus critique et un management basé sur la preuve, sous le même format que la médecine basée sur la preuve (evidenced-based medicine).