Le stress au travail est devenu un sujet d’actualité ces dernières décennies. Cependant, que recouvre ce terme ?
Beaucoup de programmes de bien-être, formations « bonheur » et professions « bonheur » prétendent lutter contre le stress au travail. Est-ce vraiment le cas ?
L’objectif est de comprendre ce qu’est un environnement professionnel stressant et les marges de manœuvre à disposition des travailleurs et employeurs.
Quand se produit le stress ?
Le stress résulte d’une combinaison de facteurs de stress (facteurs externes) et d’une stressabilité (facteurs internes). Les réactions physiologiques du stress amènent à l’un des trois mécanismes suivants : la fuite, la lutte ou l’inhibition. Chacun de ces mécanismes amène à des émotions, des pensées et des comportements distincts.
Le modèle transactionnel de Lazarus et Folkman (figure 1) stipule que le stress résulte d’une double évaluation : l’individu évalue qu’il n’a pas les ressources suffisantes pour répondre aux contraintes de la situation rencontrée. Cette évaluation peut être influencée par différents facteurs comme l’efficacité des stratégies déjà mises en place par la personne pour résoudre la situation. C’est également la définition retenue par des instituts comme l’INRS pour la prévention des risques psychosociaux.
Fradin et ses collaborateurs (2020) proposent une seconde hypothèse en dissociant le stress physiologique lié à un danger et le stress cognitif lié à nos pensées. Dans ce second cas, le stress serait un signal d’alerte lié à une incohérence dans la réponse cognitive apportée par l’individu à la situation (mauvaise activation cérébrale pour répondre à la difficulté, persévérance malgré les échecs …). Cette approche sera développée plus tard dans l’article.
Pourquoi le stress est délétère ?
Si la réaction de stress est initialement une réaction utile, il est essentiel de distinguer le stress ponctuel lié à un danger (par exemple, j’aperçois un animal dangereux au loin, la réaction de stress me met dans une état qui sera favorable à ma survie comme l’attaque ou la fuite) et le stress chronique (nos stresseurs ne sont plus des événements ponctuels mais des conditions de vie ou de travail régulières, que je ne pourrai donc pas attaquer ou fuir et qui nécessiteraient d’autres types d’action).
La vidéo suivante, réalisée par l’INRS, démontre bien la différence entre ces deux types de stress et l’aspect nocif du stress chronique.
Pour comprendre les dégâts provoqués par le stress chronique, il est nécessaire de s’intéresser à la charge allostatique, définie comme le coût pour le corps de l’exposition chronique aux variations de différents systèmes comme le système nerveux et le système endocrinien en réponse adaptative à des contextes environnementaux stressants (McEwen et Stellar, 1993), qui est de plus en plus étudiée en lien avec le développement de pathologies chroniques comme le diabète (Bordaberry, 2023) ou les maladies cardiaques (Logan et Barksdale, 2008) par exemple.
Plus la charge allostatique est importante, plus les répercussions sur la santé sont probables et importantes. Aussi, pour présenter cet aspect, selon Bordaberry (2023), il est possible de distinguer plusieurs états : l’homéostasie (situation d’équilibre), la charge allostatique (le corps peut se rééquilibrer), la surcharge allostatique et l’état de dérégulation. Les situations de surcharge et de dérégulation sont des situations nuisibles pour la santé physique et psychologique. Certains critères tels que la présence d’un ou plusieurs stresseurs pouvant dépasser la personne et, après six mois, des changements physiologiques ou comportementaux (comme une insomnie, une perte d’appétit, de la tristesse, de l’énervement …), un retrait social ou une disparition des loisirs ainsi qu’un sentiment persistant d’être dépassé doivent alerter sur une situation de surcharge allostatique et orienter vers des professionnels compétents.
Ici, nous allons nous intéresser au contexte professionnel mais il est important, pour prendre en compte la charge allostatique, de se rappeler que nos différentes sphères de vies ne sont pas cloisonnées, les concepts de vie personnelle et de vie professionnelle sont une construction sociale. Pour le corps, il n’y a pas de différence fondamentale entre entretenir ses haies chez soi ou entretenir les espaces verts du lieu où l’on travaille par exemple. Les charges de la vie personnelle et de la vie professionnelle peuvent se cumuler, comme le rappelle Bordaberry (2023). Donc, pour faire simple et forcément trop caricatural, un étudiant devant travailler à côté de ses études n’aura pas la même charge allostatique que son homologue n’ayant pas à travailler, un employé préparant un concours ou reprenant des études n’aura pas la même charge allostatique que le même employé travaillant dans les mêmes conditions mais n’ayant pas ces à côtés. Bien-sûr, l’objectif n’est pas d’indiquer telle ou telle catégorie de personnes comme plus impactée car nous ne savons pas si l’étudiant sans emploi à côté est parent de jeunes enfants, a une relation conjugale compliquée ou doit réaliser des travaux importants chez lui après ses études, nous ne savons pas si le salarié s’occupe de proches malades etc. L’idée clé est que différents stresseurs de la vie personnelle et de la vie professionnelle se cumulent et qu’on ne peut donc pas penser avec trop de simplicité qu’à conditions de travail égales les individus sont dans la même situation de charge allostatique et donc dans le même état. En plus de ces éléments, différentes variables culturelles peuvent générer un stress complémentaire chez l’individu (comme par exemple la pression sociale sur certains sujets comme le statut social, faisant que certains sujets comme une promotion au travail ou les items de l’évaluation professionnelle généreront plus de stress chez certains que chez d’autres).
Qu’est-ce qui peut favoriser le stress au travail ?
La littérature scientifique met en avant deux grands modèles :
- Le modèle de Karasek considère que le stress résulte d’une situation de forte demande psychologique (c’est à dire ce qui va puiser dans mes ressources psychologiques, comme les interruptions de tâche par exemple) associée à une faible latitude décisionnelle (c’est-à-dire ce qui me permettra pas d’agir sur mes conditions de travail, comme un manque d’autonomie dans l’élaboration de mes objectifs ou dans la possibilité de développer mes compétences par exemple). On parle alors de « job strain » ou tension au travail. Le modèle permet potentiellement de distinguer 3 autres profils (nommés actif, passif et détendu) en fonction de l’équilibre entre la demande psychologique et la latitude décisionnelle, mais nous ne développerons pas ces aspects ici. Le soutien social vient s’ajouter comme un facteur aggravant potentiel, son absence pouvant mettre la personne en isolement et créer la situation de « iso strain ».
- Le modèle de Siegrist considère que le stress résulte d’un déséquilibre entre les efforts extrinsèques ou intrinsèques mis en œuvre par le salarié et les récompenses ou la reconnaissance qu’il reçoit par son employeur.
Ces deux modèles ne sont pas en compétition et peuvent être utilisés par les psychologues du travail de façon complémentaire, avec le modèle de Lazarus et Folkman, pour comprendre les situations des professionnels et identifier les leviers à activer afin de protéger les salariés des situations de stress chronique au travail.
Sur quoi puis-je agir pour me protéger ou protéger mes salariés du stress ?
Conformément aux modèles que nous avons pu évoquer plus tôt, les leviers pour agir sur le stress sont nombreux et ont été résumés dans la figure 2 qui suit.
Nous pouvons ajouter des paramètres tels que le sentiment de sécurité psychologique qui est essentiel et facilitera l’expression, par les travailleurs, de leurs difficultés ou échecs en situation de stress professionnel. Pour en savoir plus sur la sécurité psychologique et comment la développer au travail, nous vous invitons à lire l’article dédié.
En plus de ces actions visant à prévenir les sources de stress professionnel dans l’organisation du travail et les conditions de travail, certains chercheurs et auteurs ont pu développer des préconisations individuelles à destination des travailleurs concernés. Il s’agit, pour certaines de ces actions, de réduire le niveau d’activation physiologique comme par exemple avec les invitations aux techniques de pleine conscience ou aux techniques de relaxation. Cependant, se focaliser uniquement sur ces techniques ne permet pas d’aider tous les salariés. Comme le rappelle Bordaberry (2023), une technique de relaxation pourra fonctionner avec certaines personnes et ne pas fonctionner avec d’autres en fonction du fonctionnement de chacun : S’agit-il bien d’un problème associé aux réactions physiologiques du stress ? La relaxation peut-elle me donner un temps pour me focaliser sur autre chose que le stresseur (comme ma respiration) afin de faciliter une réévaluation de ma situation ? Ou devrais-je plutôt travailler sur d’autres aspects comme mon évaluation des contraintes de la situation, l’évaluation de mes ressources pour y faire face ou le développement de nouvelles stratégies de faire face ? Parfois, si l’on reste à l’échelle individuelle, des actions mixtes apparaitront plus pertinentes (par exemple avec une association de méditation et de travail sur les cognitions comme dans les programmes de mindfulness-based stress reduction).
Faisons un focus sur le modèle neurocognitif du stress théorisé par les équipes de Fradin (figure 3) qui considère le stress comme un signal d’alerte. L’approche de Fradin et ses collaborateurs, pour faire simple, considère en effet que plusieurs modes mentaux existent et font appel à des niveaux d’activation de zones cérébrales différents. Le mode mental automatique, majoritairement associé à une forte activation du cerveau limbique, s’active parfois face aux situations problématiques et essaie d’y répondre grâce à des comportements instinctifs ou conditionnés par des apprentissages antérieurs. Ce mode, utile pour des situations quotidiennes, habituelles, est ici générateur d’erreur, de rigidité et de persévérance. Le mode mental dit préfrontal qui serait plus adapté à ces situations problématiques, devant cette inadéquation, déclenche un signal d’alerte, le stress, pour pousser à utiliser des modes alternatifs de résolution du problème. Cependant, cette ouverture à des modes alternatifs est difficile en raison des différences de fonctionnement entre le mode mental automatique et le mode mental préfrontal, et la résistance au changement de mode de résolution du problème accroit le stress. Les auteurs proposent alors des préconisations dans le but de faciliter le « switch » entre les modes mentaux automatique et préfrontal afin de prendre conscience du stress, de comprendre l’information qu’il nous véhicule et d’adapter au mieux notre fonctionnement en fonction des situations et enjeux. Les préconisations renvoient, pour certaines, à des activités proches des exercices utilisés en thérapies cognitives et comportementales. Pour plus d’informations, voir le livre de Fradin et ses équipes (2020) dans la bibliographie. Nous appelons, comme le font les formateurs de cette approche, à ne pas envisager la prévention du stress à l’échelle uniquement individuelle. Ces actions individuelles peuvent en revanche permettre de mettre la personne concernée dans de meilleures dispositions pour ensuite agir sur ses facteurs de risques.
Enfin, rappelons qu’une stratégie de prévention repose sur trois niveaux :
- La prévention primaire : agir à la source en modifiant l’organisation et les conditions de travail pour prévenir les facteurs sources de stress. Il s’agira d’agir sur les différents leviers présentés en amont dans la figure et correspondant aux modèles de Lazarus et Folkman, de Karasek et de Siegrist.
- La prévention secondaire : mieux armer les collaborateurs pour faire face aux facteurs de risques. Il s’agira ici d’outiller et former les collaborateurs concernant les facteurs de risques (ex : charge de travail, rythme de travail, gestion des priorités, flux des délais, formations managériales) et de sensibiliser et former les collaborateurs concernant la gestion du stress. L’approche neurocognitive et comportementale de Fradin et ses collègues peut être utile à ce niveau de prévention car se focalise davantage sur l’attitude de l’individu (qu’ils nomment contenant) face aux situations stressantes (qu’ils nomment contenus) que sur une action directe sur ces situations.
- La prévention tertiaire : prendre en charge et accompagner les collaborateurs qui parfois ont atteint un niveau de détresse important, les accompagner dans le retour à l’emploi si nécessaire. Travailler en étroite collaboration avec les services de prévention et de santé au travail ou renforcer ses équipes à l’aide d’acteurs spécialisés en santé au travail, pour les plus grosses organisations, peut répondre à cet enjeu.
Nous avons pu parler, dans notre article, de différentes échelles d’intervention et donc notamment des exemples d’actions centrées sur l’individu ou d’actions plus collectives et organisationnelles. Il est utile et important de noter que, dans un récent article, William J. Fleming qui est docteur en sociologie et chercheur au centre de recherche sur le bien-être à l’université de Oxford présente les résultats d’une étude qui démontrent que les interventions centrées uniquement sur l’individu, comme les programmes de pleine conscience, les cours de gestion de stress, les programmes de résilience ou programmes de relaxation, ne génèrent pas de bénéfice sur le bien-être des travailleurs ayant participé à l’étude. L’auteur explique cela en exploitant le modèle de Karasek en indiquant que ces interventions individuelles visent en général à enseigner à utiliser des stratégies de faire face permettant de mieux faire face à la demande psychologique, mais ne parviennent pas à répondre à cet objectif ou enseignent des stratégies inadéquates par rapport au contexte spécifique des individus. Certains effets paradoxaux sont parfois identifiés pour les programmes de pleine conscience ou de résilience comme la perception d’un soutien organisationnel (normalement ressource importante), mais une absence de bénéfice en termes de bien-être. L’une des hypothèses explicatives de l’auteur, au regard des items ayant servi à son enquête, serait que les salariés se sentent soutenus individuellement mais estiment que l’employeur ne remplit pas son rôle en restant à l’échelle de l’individu et non de l’organisation. L’auteur invite enfin en conclusion à réaliser de nouvelles études pour vérifier les effets des interventions individuelles combinées à des interventions organisationnelles (Fleming, 2024).
Mais que doit-on penser des actions « bonheur » ?
Nous appelons ici actions « bonheur » les démarches mises en œuvre par certaines entreprises et administrations pour prétendre agir sur la qualité de vie au travail sans forcément interroger les conditions de travail ou les ressources pour faire face aux exigences du travail. Il peut s’agir de salles de sieste, babyfoot, fontaine à chocolat, chief happiness officer, cours de danse le midi …
Ces actions ne sont pas toxiques en elles-même mais ne peuvent prévenir le stress professionnel dans la mesure où elles ne permettent pas d’agir sur les facteurs de risques ou sur le rapport entre exigences et ressources.
En soi, elles peuvent apporter du confort, un sentiment que l’employeur souhaite prendre soin de nous, de la convivialité éventuelle, mais pas davantage. Parfois, elles ont des effets négatifs (par exemple quand ces actions viennent justifier des exigences accrues pour le travail, quand elles créent une porosité plus importante entre vie personnelle et vie professionnelle, quand elles divisent les équipes en sous-groupes en fonction des participants aux activités, etc.). Les professionnels spécialistes les décrient beaucoup quand celles-ci se substituent à une réelle démarche de qualité de vie au travail ou une réelle interrogation des conditions de travail dans le but de protéger les salariés.
Pour aller plus loin, nous vous invitons à lire ces références :
- Bordaberry, P. (2023). Ce n’est pas toi le problème. Leduc.
- Fleming, W. J. (2024). Employee well-being outcomes from individual-level mental health interventions : cross-sectional evidence from the United Kingdom. Industrial relations journal. https://doi.org/10.1111/irj.12418
- Fradin, J., Aalberse, M., Gaspar, L., Lefrançois, C. et Le Moullec, F. (2020). L’intelligence du stress : Mieux vivre avec les neurosciences. Eyrolles.
- Lefebvre, B. et Poirot, M. (2015). Stress et risques psychosociaux au travail. Elsevier Masson.
- Logan, J. G. et Barksdale, D. J. (2008). Allostasis and allostatic load : expanding the discourse on stress and cardivascular disease. Journal of clinical nursing, 17(7B), 201-208. https://doi.org/10.1111/j.1365-2702.2008.02347.x
- Machado, T. (2015). La prévention des risques psychosociaux. Presses universitaires de Rennes.
- McEwen, B. S. et Stellar, E. (1993). Stress and the individual. Mechanisms leading to disease. Archives of internal medicine, 153(18), 2093-2101. https://doi.org/10.1001/archinte.1993.00410180039004
- Zawieja, P. et Guarneri, F. (2014). Dictionnaire des risques psychosociaux. Seuil.
Source de la figure représentant le modèle transactionnel du stress de Lazarus et Folkman :
Untas, A., Koleck, M., Rascle, N., et Bruchon-Schweitzer, M. (2012). Du modèle transactionnel à une approche dyadique en psychologie de la santé. Psychologie Française, 57(2), 97‑110. https://doi.org/10.1016/j.psfr.2012.03.004
Article mis à jour le 24.01.2024 pour intégrer deux références récentes.