Certains professionnels sont exposés à des événements traumatogènes. Leur employeur peut donc chercher à savoir comment prévenir le stress post-traumatique. Mais de quoi parle-t-on finalement ?
Qu’est-ce qu’un événement traumatogène ?
Les événements traumatogènes sont des événements impliquant l’exposition à la mort, à des blessures graves ou à la violence sexuelle. Ces expositions peuvent être réelles (la victime les a subies) ou potentielles (la victime y a échappé mais cela aurait pu raisonnablement arriver).
Qui peut être considéré comme exposé à un événement traumatogène ?
On distingue généralement :
- Les traumatismes directs pour les personnes qui ont été victimes, témoins ou ont provoqué l’événement traumatogène (par exemple, se faire percuter par une voiture, voir quelqu’un se faire percuter par une voiture, ou percuter quelqu’un avec son véhicule).
- Les traumatismes indirects pour les personnes qui n’ont pas été directement exposées au traumatisme mais en subissent les effets (par exemple, un usager que l’on accompagnait est absent, un collègue décédé subitement laisse un vide dans l’équipe, etc.).
On distingue également :
- Les traumatismes de type 1 qui sont des événements ponctuels (par exemple, exposition à un accident sur la voie publique).
- Les traumatismes de type 2 qui sont des événements répétés (par exemple, exposition à des violences sexuelles intrafamiliales).
- Certains auteurs plaident en faveur d’un traumatisme de type 3 pour considérer les événements de vie tels que le chômage de longue durée, la perte de son emploi, le harcèlement qui ont des effets similaires aux événements traumatogènes mais ne correspondent pas à la définition retenue pour cet événement. Cela ne fait pas consensus pour le moment.
Y a t-il systématiquement stress post traumatique après avoir été exposé à un événement traumatogène ?
Face à ce type d’événements, il y a des réactions émotionnelles et comportementales normales :
- Choc émotionnel lors de l’événement.
- Etat de stress aigu dans les jours qui suivent (symptômes intrusifs, humeur négative, manifestations d’évitement, réactions neurovégétatives, potentiels symptômes dissociatifs).
Aucun diagnostic de trouble de stress post traumatique (TSPT) ne peut être fait avant 1 mois. La plupart des personnes ayant une réaction de stress aigu ne développeront pas de TSPT.
Quels sont alors les signes de TPST ?
- Présence d’un événement traumatogène.
- Symptômes intrusifs : flashbacks, souvenirs, rêves ou cauchemars, involontaires et envahissants ainsi que les réactions de mal être (sudation, rythme cardiaque accéléré) en lien avec l’événement.
- Manifestations d’évitement : évitement des déclencheurs internes (souvenirs, pensées ou sentiments associés à l’événement) et évitement des déclencheurs externes (personnes, endroits, conversations, activités, situations) qui peuvent mener à de l’isolement ou des arrêts de travail.
- Altération négative des cognitions et de l’humeur : pensées et émotions liées au trauma (croyances ou attentes négatives persistantes et exagérées concernant soi, les autres ou le monde, distorsions cognitives persistantes à propos de la cause ou des conséquences de l’évènement) ainsi que la déprime anhédonique (réduction nette de l’intérêt pour des activités importantes, sentiment de détachement d’autrui, incapacité persistante à éprouver des émotions positives).
- Réactions neurovégétatives : comportement impulsifs, comportements autodestructeurs, nervosité, agitation intérieure, irritabilité, accès de colère, réactions de sursaut, difficultés de sommeil, difficultés de concentration.
Attention :
- Le traitement ou les stratégies mises en place par l’individu peuvent masquer certains signes.
- Un TSPT peut parfois se déclencher plusieurs mois après l’événement traumatogène.
- Il peut parfois y avoir des symptômes dissociatifs : « trou noir » durant l’événement, impossibilité de se souvenir de certains détails, sentiment de non réalité de l’événement …
- Des débats existent concernant l’impact d’un événement traumatogène sur les souvenirs. Ces débats, qui sont toujours vifs entre professionnels, militants et scientifiques ainsi que dans la communauté scientifique (Battista et al., 2023) peuvent rendre la compréhension confuse pour le public, d’autant plus qu’ils se médiatisent souvent dans l’émotion et le pathos plutôt que dans le fond (ex : reprocher à ceux qui remettent en cause tel concept de sacrifier les victimes), donc nous souhaitons les clarifier rapidement. Certains plaident en faveur de concepts liés à des souvenirs réprimés inconsciemment par les individus tels que la mémoire traumatique ou l’amnésie dissociative afin d’expliquer pourquoi certaines victimes ne se souviennent pas des détails du traumatisme ou se souviennent d’événements plusieurs années après ces derniers, tandis que d’autres réfutent ces concepts et plaident en faveur d’une meilleure prise en compte des connaissances scientifiques concernant les mécanismes cognitifs derrière la mémorisation pour comprendre le phénomène. Ces derniers défendent l’idée d’une meilleure formation en psychologie cognitive pour les professionnels intervenant auprès de victimes de traumatismes (Otgaar et al., 2022), notamment pour développer l’esprit critique, faire évoluer les pratiques et éviter des conséquences préjudiciables sur la vie des individus ou la justice (Otgaar et al., 2020). Par exemple, une récente publication (Langeslag et Posey, 2023) a pointé du doigt que certains facteurs autres que le concept d’amnésie dissociative pouvaient être en cause dans les situations où les individus présentent une incapacité à se souvenir des événements : s’être senti déconnecté de son corps durant l’événement, ce qui a eu un impact sur l’encodage, avoir eu des problèmes de sommeil durant l’année qui a suivi l’événement, ce qui a eu un impact sur la consolidation en mémoire, ou avoir vécu l’événement de façon répétée, ce qui a eu un impact sur le niveau de détails des souvenirs.
Quel pourrait être le rôle de l’employeur ?
De façon générale, la prévention des risques doit se situer sur les trois niveaux :
- Prévention primaire : agir pour diminuer les facteurs de risques qui conduiraient à l’exposition à des événements traumatogènes.
- Prévention secondaire : agir pour renforcer les ressources à disposition des travailleurs pour faire face à ces situations.
- Prévention tertiaire : prendre en charge les effets des événements traumatogènes sur la santé des collaborateurs.
Après la survenue de ce type d’événements, il peut être important pour l’employeur d’évaluer si les trois niveaux de prévention ont été efficients :
- Qu’est-ce qui a provoqué l’exposition à cet événement traumatogène et cela aurait-il pu être évité ? Certains travailleurs peuvent penser ce risque non maitrisable (par exemple, intervention sur une voie rapide ou relation aux usagers), mais certains facteurs de risques peuvent avoir un impact et sont eux maitrisables et peuvent atténuer le risque comme la charge et le rythme de travail, les compétences des collaborateurs face aux situations spécifiques rencontrées, le matériel à disposition et son adéquation avec le besoin des collaborateurs, les irritants rencontrés par les usagers dans le traitement de leur situation, etc.
- Les agents ont-ils manqués de ressources (formations, procédures, outils, effectifs …) pour faire face à l’événement auquel ils étaient exposés ?
- Les dispositifs de soutien aux collaborateurs dont la santé s’est déradée ont-ils été mis en place ? Ont-ils suffi ou est-il nécessaire de les améliorer ou de les compléter ?
Une fois l’exposition à un événement traumatogène survenue, quels facteurs de protection concrets peut-on mettre en place ?
- S’assurer que la personne dispose du support social (soutien hiérarchique et soutien des collègues notamment).
- S’assurer que la personne n’adopte pas de stratégies de coping inappropriées (drogue, alcool, automédication).
- Normaliser les symptômes, permettre au travailleur de comprendre ce qui lui arrive..
- Mettre un réseau de soin autour de la personne si nécessaire (se rapprocher des acteurs internes s’ils existent ou des acteurs partenaires comme les psychologues du travail et la médecine préventive qui pourront accompagner ou orienter le salarié). Si l’individu doit être réorienté vers une prise en charge thérapeutique, certaines approches sont à privilégier car ont démontré leur efficacité comme l’exposition prolongée ou la thérapie cognitive spécialisée sur le TPST.
NB : le débriefing, longtemps conseillé pour éviter le TSPT lorsque pratiqué les heures ou jours après le trauma et parfois mis en pratique dans des dispositifs collectifs avec l’intervention d’un professionnel spécialisé, n’est pas pas spécialement efficace pour le prévenir. En revanche, le fait d’organiser un débriefing par un manager sensibilisé peut être utile pour d’autres raisons : montrer le soutien de l’employeur, permettre aux salariés de se sentir écoutés et de comprendre ce qui leur arrive…
Quels facteurs de risques renforcent la probabilité de survenue du TPST ?
- Gravité du trauma.
- Manque de support social.
- Stress quotidien augmenté suite au trauma. Pour en savoir plus sur le stress professionnel, nous vous invitons à lire l’article dédié.
- Des prédispositions génétiques jouent également mais ne concernent pas l’employeur.
Certains de ces facteurs de risques peuvent être maîtrisés par l’employeur, notamment le manque de support social et l’exposition à un stress professionnel.
Pour aller plus loin sur la thématique, nous vous invitons à lire ces références utilisées pour rédiger l’article :
- Battista, F., Mangiulli, I, Patihis, L., Dodier, O., Curci, A., Lanciano, T. et Otgaar, H. (2023). A scientometric and descriptive review on the debate about repressed memories and traumatic forgetting. Journal of anxiety disorders, 97. https://doi.org/10.1016/j.janxdis.2023.102733
- Josse, E. (2019). Le traumatisme psychique chez l’adulte. De Boeck Supérieur.
- Langeslag, S. J. E. et Posey, Z. W. (2023). Factors that contribute to an inability to remember an important aspect of a traumatic event. Memory, 31(10), p. 1402-1411. https://doi.org/10.1080/09658211.2023.2268304
- Orban, P. (2022). Psychothérapies pour le trouble du stress post-traumatique : Exposition prolongée – Retraitement cognitif – Thérapie cognitive du TSPT – EMDR. Dunod.
- Otgaar, H., Howe, M. L., Dodier, O., Lilienfeld, S. O., Loftus, E. F., Lynn, S. J., Merckelbach, H., et Patihis, L. (2020). Belief in uncouscious repressed memory persists. Perspectives on psychological science, 16(2). https://doi.org/10.1177/1745691621990628
- Otgaar, H., Mangiulli, I., Riesthuis, P., Dodier, O. et Patihis, L. (2022). Changing beliefs in repressed memory and dissociative amnesia. Applied cognitive psychology, 36(10). https://doi.org/10.1002/acp.4005
- Zawieja, P. (2016). Psychotraumatologie du travail. Armand Colin.