La reconnaissance est un besoin souvent verbalisé par les collaborateurs, notamment dans le cadre de conflits ou de dégradations du climat social, et il s’agit d’un enjeu important pour les organisations. Souvent confondu avec la rémunération, le concept de reconnaissance est cependant plus large et nous vous proposons de l’approfondir.
La reconnaissance est définie par Jean Pierre Brun comme une réaction constructive et authentique qui permet d’apprécier et de juger le collaborateur.
Elle peut être symbolique (par exemple liée à des remerciements ou une confiance) ou concrète (par exemple financière) et peut relever d’un exercice régulier ou ponctuel.
Ses effets ont été étudiés à la fois sur des variables de santé psychologie, comme par exemple le stress professionnel ou l’estime de soi, mais également sur la performance des organisations (investissement des collaborateurs, apprentissage des collaborateurs, succès des transformations organisationnelles etc.). Prévenir le défaut de reconnaissance en réfléchissant à ses pratiques au quotidien est donc un important levier pour l’employeur, le manager et le collaborateur pour agir sur la qualité de vie et des conditions de travail.
Quatre pratiques de reconnaissance au travail sont identifiées :
- La reconnaissance existentielle vise à reconnaître le travailleur dans sa singularité et son intégrité.
- La reconnaissance des pratiques de travail vise à reconnaître les compétences, l’expertise, la façon de réaliser le travail et de résoudre les problèmes du collaborateur.
- La reconnaissance de l’investissement et des efforts permet de reconnaître la participation, la contribution du travailleur ou de son équipe via les efforts consentis, indépendamment du résultat. On reconnait alors les prises de risques et l’énergie déployée, parfois dans des conditions difficiles, par les collaborateurs pour effectuer le travail.
- La reconnaissance des résultats et de la performance porte sur le produit du travail du collaborateur et sa contribution à la réalisation des objectifs fixés.
Ces différentes pratiques de reconnaissance peuvent découler de cinq niveaux d’interactions :
- Le niveau organisationnel : il s’agit ici des politiques et programmes mis en place par un employeur pour reconnaître le travail de ses collaborateurs.
- Le niveau vertical : la reconnaissance est ici liée à la relation hiérarchique entre le travailleur et son responsable et elle peut s’exprimer de façon ascendante ou descendante.
- Le niveau horizontal : il s’agit ici à la reconnaissance qui peut s’établir entre des pairs ou des membres d’une équipe de travail.
- Le niveau externe : la reconnaissance vient ici d’un client, d’un fournisseur, d’un partenaire etc.
- Le niveau social : il renvoie à la reconnaissance que peut retrouver le travailleur dans un contexte social donné (valorisation du métier dans le contexte social de référence, reconnaissance de la contribution du métier du collaborateur au fonctionnement de la société etc.).
En croisant ces différents éléments de définition, Jean Pierre Brun propose le tableau suivant (ici légèrement reformulé et synthétisé), repris ensuite par Adrien Chignard dans son livre concernant le burnout, pour illustrer les formes très diverses que peut prendre la reconnaissance à l’aide d’exemples :
Niveau d’interaction | Reconnaissance existentielle | Reconnaissance des pratiques | Reconnaissance de l’investissement | Reconnaissance des résultats |
Niveau organisationnel | Lettre personnalisée lors d’un événement de vie (anniversaire, mariage, naissance). Rencontre d’accueil pour le nouveau collaborateur. Information ou consultation du personnel. | Programme de mobilité. Programme de reconnaissance et de soutien à l’innovation. Cérémonie pour reconnaître le travail d’équipe. Prix liés aux pratiques professionnelles. | Reconnaissance des heures supplémentaires. Reconnaissance des années de service. Octroi de temps pour les activités sociales entre employés. Repos accordé. | Prime de motivation. Communications des succès. Prix d’excellence. Prix d’équipe. Budget de reconnaissance pour un service ou une unité. Semaine de la reconnaissance. Note personnalisée. |
Niveau vertical | Accessibilité et visibilité des managers et de la direction. Défense des collaborateurs. Latitude décisionnelle offerte. Accès au développement professionnel. | Affectation à un projet spécial. Valorisation des porteurs de dossiers. Félicitations en présence de collègues. Appui positif de l’employé envers son manager. | Prise en considération de la charge de travail ou de la difficulté du travail dans l’évaluation des résultats. Remerciements du collaborateur à son manager pour le temps accordé. | Rencontre pour évaluer les résultats. Lettre personnalisée. Affichage dans le service des réussites d’équipe. Félicitations, remerciements publics d’employés à son manager pour son aide dans la réussite. |
Niveau horizontal | Rencontres sociales. Consultation entre pairs. Soutien face à un impératif personnel. | Feedback par les pairs. Mise en relief des pratiques en réunion d’équipe. Groupes de résolution de problèmes. Félicitations mutuelles. | Encouragements des pairs à maintenir l’effort et la mobilisation collective. Soutien entre groupes de métiers. Applaudissements. | Fête entre pairs pour souligner une réussite. Remise d’un cadeau à un collègue pour une réalisation professionnelle importante. Réjouissances informelles entre 2 collaborateurs au moment de la réalisation des objectifs. |
Niveau externe | Prise en considération de l’opinion du client, du prestataire etc. Contacts personnalisés. Accueil sympathique des partenaires et fournisseurs. | Remerciements adressés par un usager pour la qualité du service. Offre d’un contrat important. | Lettre de recommandation pour un consultant ou un prestataire. Feedback positif à un fournisseur. Félicitations par un client pour le travail réalisé malgré des conditions difficiles. | Expressions de la satisfaction par un usager au regard du travail produit. Cadeau client. |
Niveau social | Respect de l’identité et de la culture d’un groupe. Valorisation sociale d’un employé ou d’une organisation. | Remerciements publics pour le travail effectué. | Reconnaissance du travail des aînés et retraités. | Subventions obtenues. Cérémonies. Diffusion dans les médias des résultats positifs de la collaboration entre l’entreprise et la communauté. |
Enfin, le même auteur émet ces préconisations afin de réaliser des pratiques de reconnaissance de qualité :
- Être sincère et authentique pour éviter tout effet paradoxal de la reconnaissance (sentiment qu’il s’agit d’une moquerie par exemple).
- Être réactif : la reconnaissance doit concerner des éléments récents, il est alors préférable d’en faire une pratique régulière.
- Avoir une reconnaissance de proximité.
- Avoir des formes de reconnaissances variables, en alternant les types de reconnaissance.
- La personnaliser, notamment en connaissant le travail réel, les enjeux de ses collaborateurs et leurs besoins spécifiques.
- Être légitime, donc venant d’une personne pouvant connaître les enjeux du travailleur.
- Être spécifique, en donnant des exemples concrets.
- Être cohérent avec les objectifs et priorités de l’organisation.
La mise en place d’une culture de la reconnaissance est conseillée, pour que ces pratiques ne soient pas à la marge dans les organisations.
Nous pouvons également compléter ces conseils en vous invitant à ne pas vous focaliser uniquement sur la reconnaissance individuelle mais à reconnaître également le travail collectif, essentiel à toute organisation.
Miser sur une reconnaissance qui motive les collaborateurs :
Dans un livre sur la théorie de l’autodétermination, Jacques Forest et ses collaborateurs rappellent qu’une motivation peut être contrôlée (en lien avec des coercitions internes ou externes) ou autonome (en lien avec la signification et le plaisir trouvés au travail). Une motivation contrôlée est de moindre qualité et peut conduire à des externalités négatives (ex : stress, turnover) tandis qu’une motivation autonome est de meilleure qualité, protège des externalités négatives et génère des externalités positives (plus d’innovation par exemple). La satisfaction des trois besoins psychologiques que sont le sentiment d’appartenance, le sentiment de compétence et l’autonomie est une des clés pour créer une motivation de qualité. Un article sur la motivation est en cours de réflexion et sera ajouté en lien ici pour vous permettre de creuser la question.
En analysant les liens entre les récompenses et la motivation, les auteurs indiquent que la récompense peut avoir un effet d’éviction, c’est à dire baisser la motivation autonome. En effet, les récompenses provoquent deux types de conséquences : baisser l’autonomie pour générer du contrôle (j’agis pour la récompense), et apporter plus de compétences en fournissant une information au salarié.
Afin de pouvoir limiter leur impact sur la qualité de la motivation, les auteurs préconisent donc que les récompenses frustrent le moins possible les besoins psychologiques et les satisfassent le plus possible. Ainsi, il faut qu’elles :
- Soient équitables.
- S’inscrivent dans un environnement favorisant l’autonomie.
- Ne soient pas attendues, afin de limiter la frustration du besoin d’autonomie (une récompense attendue « contrôle » la motivation derrière la tâche accomplie).
- Ne soient pas intégralement liées à la performance ou au résultat.
- Offrent une information sur le travail rendu (et sur la compétence ou les progrès du collaborateur donc).
Ils précisent également qu’il s’agit de considérer les récompenses tangibles comme intangibles, visibles comme non visibles publiquement. Les récompenses tangibles sont plus sensibles à l’effet d’éviction cité plus haut.
Enfin, ils invitent à adopter une vision plus complexe du sujet :
- Récompense-t-on des tâches complexes ou simples et répétitives ? L’effet de la récompense diffère en effet.
- Souhaite-t-on améliorer la quantité ou la qualité du travail réalisé ? Le type de récompense peut en effet avoir l’un ou l’autre de ces effets.
Miser sur les effets positifs de la gratitude :
Julie Collange et Jean Louis Tavani proposent de compléter les différentes réflexions concernant la reconnaissance au travail par le concept de gratitude issu de la psychologie positive. La gratitude est définie par les auteurs comme « une réaction émotionnelle positive et orientée vers autrui pour les bienfaits reçus ». Elle peut être épisodique (liée à un événement ponctuel), persistante (relevant alors d’une disposition de l’individu liée à un schéma de pensée spécifique) ou collective (lorsque partagée par les membres de l’organisation).
La gratitude a, selon la revue de littérature réalisée par les auteurs, des effets bénéfiques sur la santé des travailleurs, sur la qualité de vie au travail et sur la performance des organisations. Ces effets bénéfiques sont pour partie liés à un changement du style de pensée, qui permet notamment de réinterpréter positivement des situations initialement perçues comme négatives en se focalisant davantage sur les ressources et aspects positifs de l’environnement. Ils sont également liés à des effets sur la catégorisation groupale (les individus sont plus inclusifs et développent plus facilement une identité supra-ordonnée), sur le renforcement de l’implication affective envers l’organisation et sur la facilitation des comportements de citoyenneté organisationnelle (envers son groupe comme envers les autres groupes grâce à l’identité supra-ordonnée facilitée) qui sont des comportements non formellement prescrits ou récompensés mais volontaires favorisant le bon fonctionnement de l’organisation.
Les auteurs proposent enfin différentes pratiques pour développer la gratitude. En contexte professionnel, trois pratiques de ressources humaines sont préconisées :
- Créer des programmes d’appréciation dans lesquels l’organisation exprime sa gratitude aux salariés, par exemple en présentant un travailleur ou une équipe et en mettant en avant leurs forces, persévérances …
- Développer le contact avec les bénéficiaires ou clarifier l’impact de l’action des salariés sur la vie ou le quotidien des bénéficiaires. Ces derniers peuvent être internes (collègues, service client) comme externes (partenaires, clients, usagers).
- Mettre en place des feedbacks développementaux, qui renvoient au fait que les managers donnent des informations utiles aux collaborateurs pour développer leurs compétences. Ces feedbacks permettent alors aux collaborateurs de voir leurs progrès leur trajectoire et leur amélioration.
Pour aller plus loin sur la thématique, nous vous invitons à lire ces références utilisées pour rédiger l’article :
- Brun, J. P. et Dugas, N. (2005). La reconnaissance au travail : analyse d’un concept riche de sens. Gestion, Vol. 30(2), 79‑88. https://doi.org/10.3917/riges.302.0079
- Brun, J. P. et Laval, C. (2018). Le pouvoir de la reconnaissance au travail. Eyrolles.
- Chignard, A. (2022). Burn out : Des histoires vécues pour le prévenir, l’éviter, s’en sortir. Mardaga.
- Collange, J. et Tavani, J. L. (2022). La gratitude dans les organisations : bienfaits, mécanismes et développements. Dans A. Piermattéo, H. Cléty, S. Schoenenberger et C. Demarey (Dir.), Qualité de vie et santé au travail : théorie et pratiques (p. 173-191). Septentrion.
- Forest, J., Van den Broeck, A., Van Coillie, H. et Mueller, M. B. (2022). Libérer la motivation avec la théorie de l’autodétermination. Edito.