La thématique des risques psychosociaux, ou RPS, est d’actualité dans de nombreuses organisations. Mais il suffit d’écouter les personnes parler pour comprendre la polysémie de ce concept : stress, burnout, surcharge de travail, addiction au travail, conflits, harcèlement, qualité empêchée. Derrière cette multitude de termes, que sont vraiment les RPS ?
Risques psychosociaux, et si on les définissait ?
Les risques psychosociaux sont définis par le Ministère du travail et de l’emploi comme un risque pour la santé physique et mentale des travailleurs dont les causes sont à rechercher à la fois dans les conditions d’emploi et les facteurs liés à l’organisation du travail et aux relations de travail.
Devant le constat, partagé par divers chercheurs, que le terme « psychosocial » circonscrit parfois ces risques à une responsabilité individuelle, au lien social ou aux relations avec les autres, Tony Machado a proposé l’appellation de risques psycho-socio-organisationnels (RPSO) pour insister sur l’importance du contexte et de l’organisation dans laquelle travaille l’individu.
Les RPSO sont donc des risques qui se situent à l’interaction entre la sphère individuelle (le travailleur et ses caractéristiques), la sphère sociale (le collectif de travail et ses comportements sociaux) et la sphère organisationnelle. La prévention de ces risques ne peut ainsi dépendre uniquement du travailleur.
Sur ce type de risques, une confusion existe souvent entre les causes et les conséquences. C’est pourquoi on distingue généralement :
- Les facteurs de RPSO, qui sont des caractéristiques individuelles, sociales ou organisationnelles. On pourra par exemple parler ici de surcharge ou sous-charge de travail, de rythmes de travail poussant à travailler dans l’urgence, de défauts de reconnaissance, de peur de commettre des erreurs ou de contact avec la souffrance du public.
- Les perturbations psychosociales, qui sont générées par les facteurs de RPSO. On pourra par exemple citer ici le stress professionnel, le burnout, ou le harcèlement moral au travail.
- Les conséquences de ces perturbations, qui pourront être une dégradation de la santé physique ou mentale des individus, mais également les conséquences sur l’organisation avec par exemple l’absentéisme, le turnover, l’augmentation de l’accidentologie, la baisse de performance ou les conséquences juridiques et les conséquences sur la société avec le coût des soins pris en charge par exemple. En effet, nous ne développerons pas plus dans cet article mais, si la détresse psychologique liée aux perturbations psychosociales est bien identifiée par les employeurs, certaines personnes n’identifient pas les effets sur la santé physique (maladies cardiovasculaires, troubles musculosquelettiques) ni les interactions entre facteurs de RPSO et risques physiques (non respect des procédure de sécurité à cause des rythmes de travail, impact cognitif générant une augmentation de la probabilité d’avoir un accident de travail etc.).
Nous prévoyons de rédiger des articles sur les différentes perturbations psychosociales et les différents facteurs de RPSO sur ce site, dans la rubrique des présentations de concepts.
Nous souhaitons ajouter à ces considérations l’aspect « circulaire » et systémique des RPSO. Pour faire simple, des facteurs de RPSO génèrent des perturbations psychosociales qui entraîneront des conséquences qui elles-mêmes pourront augmenter les facteurs de RPSO etc. De plus, il peut être important d’inscrire la réflexion de façon globale : une organisation peut interagir avec différents systèmes (prestataires, clients, partenaires, décisions politiques, évolution du cadre légal …), ce qui prévient ou accentue des facteurs de RPSO chez l’organisation comme chez ces différents systèmes tiers.
Maintenant qu’on connait la définition d’un RPSO, de quoi parle-t-on concrètement ?
Afin de pouvoir mieux identifier les facteurs de RPSO, et donc prévenir les perturbations psychosociales et leurs conséquences, des classifications ont été réalisées par différents chercheurs. Pour avoir un aperçu sur la question, nous vous invitons à lire l’annexe nommé « Les principaux facteurs de RPSO » du livre de Tony Machado cité dans notre bibliographie.
Afin de faire simple dans cet article, nous allons présenter la classification du rapport du collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail rédigé par Michel Gollac et Marceline Bodier, qui est majoritairement utilisée dans les organisations et chez les acteurs de la prévention tels que l’INRS ou l’ANACT. Elle distingue 6 catégories de RPSO :
- L’intensité du travail et le temps de travail : On y retrouve la quantité de travail, la pression temporelle, la complexité du travail ou les problématiques liées aux difficultés de conciliation entre vie professionnelle et vie privée avec notamment les temps de travail.
- Les exigences émotionnelles : On retrouve ici la relation au public, le contact avec la souffrance, les tensions avec le public, la nécessité de devoir cacher ses émotions ou encore le fait de ressentir de la peur au travail.
- L’autonomie : On retrouve la possibilité de choisir comment effectuer son travail, la possibilité de s’interrompre, la possibilité de développer ses compétences, d’apprendre de nouvelles choses, la répétitivité du travail, la prévisibilité du travail, la possibilité de participer aux décisions ou la possibilité d’être représenté.
- Les rapports sociaux : On parlera ici du soutien social et professionnel par les collègues et par la hiérarchie, les faits de violence au travail qui peuvent être des agressions ou du harcèlement, la reconnaissance au travail ou encore les problématiques en lien avec le leadership et le management.
- Les conflits de valeurs : On retrouve ici des thématiques comme les conflits éthiques (devoir porter des décisions qui heurtent ou s’opposent à nos valeurs) ou la qualité empêchée (ne pas avoir les moyens de faire un travail de qualité suffisante).
- L’insécurité de la situation de travail : On retrouve enfin ici des thématiques en lien avec la sécurité d’emploi et le salaire, mais aussi avec la soutenabilité du travail (pouvoir le faire jusqu’à la fin de carrière).
Si vous avez lu certains de nos articles, vous pouvez désormais comprendre la différence entre facteurs de RPSO et perturbations psychosociales. Par exemple, le stress professionnel, qui est une perturbation psychosociale, peut être provoqué par des facteurs de RPSO classés dans les catégories de l’intensité et du temps de travail, des exigences émotionnelles, de l’autonomie et des rapports sociaux lorsqu’ils provoquent un déséquilibre entre la situation et les ressources du travailleur. En effet, les modèles du stress renvoient à un déséquilibre provoqué par un excès de demande psychologique associé à une faible latitude décisionnelle et potentiellement associé à un faible soutien social, ou à un déséquilibre entre les efforts consentis et la reconnaissance. Pour prévenir la perturbation psychosociale, on agit donc sur les facteurs de RPSO.
En plus de cette approche épidémiologique durant laquelle le professionnel va essayer de comprendre les facteurs de risques dans le contexte de travail de l’individu et les perturbations qu’ils provoquent, la plus-value d’un psychologue du travail pourra être de mobiliser différentes approches théoriques et modèles d’intervention pour compléter sa compréhension de la situation comme par exemple la psychosociologie, l’approche systémique ou les modèles du changement organisationnel. Ainsi, prenons un exemple de situation de changement organisationnel, comme une restructuration, qui pourrait générer des facteurs de risques comme l’incapacité à se projeter dans l’avenir, l’incapacité de savoir si son poste sera préservé, une altération de la communication entre travailleurs et décisionnaires, l’augmentation de la charge de travail et des rythmes de travail, et le sentiment d’être peu soutenu et peu écouté par la hiérarchie qui d’ailleurs voit en ses effectifs une résistance malvenue tant le changement est perçu par les décideurs comme inévitable, justifié et positif pour les conditions de travail à venir. En utilisant le modèle des phases de préoccupations du changement, on pourrait essayer de comprendre les préoccupations légitimes des collaborateurs face au changement, ce qu’elles génèrent, comment y répondre et accompagner au mieux les travailleurs et leur hiérarchie dans ce changement. En utilisant l’approche systémique, on pourrait s’interroger sur les équilibres préexistants entre les différents systèmes, les menaces à ces équilibres provoquées par le changement, l’influence de l’intégration d’un nouveau système avec l’intervention du psychologue ainsi que les boucles de rétroaction à l’œuvre et leurs impacts. En utilisant l’approche psychosociologique, on pourrait s’interroger sur les rapports entre collaborateurs et entre collaborateurs et hiérarchie, notamment face à ce changement, son impact et ce qu’il renvoie sur les relations de pouvoir, d’interdépendance etc.
Est-on obligé de prévenir les RPSO ?
Tout d’abord, le code du travail indique que l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (article L4121-1). L’article précise que les mesures doivent comprendre des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation, et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. Enfin, ces mesures sont évolutives en fonction des changements pour s’adapter au contexte du travail des travailleurs.
Le code du travail précise aussi les 9 principes généraux de prévention pour mettre en œuvre ces mesures (article L4121-2) :
- Eviter les risques.
- Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités.
- Combattre les risques à la source.
- Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé.
- Tenir compte de l’état d’évolution de la technique.
- Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux.
- Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et sexuel ainsi que ceux liés aux agissements sexistes.
- Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle.
- Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
Les articles suivants précisent les acteurs qui contribuent à l’évaluation des risques comme la commission santé, sécurité et conditions de travail du CSE, les préventeurs nommés par l’entreprise ou le service de prévention et de santé au travail (article L4121-3), les outils réglementaires qui accompagnent cette prévention, comme le document unique d’évaluation des risques professionnels (article L4121-3-1), la nécessité de vérifier la capacité du salarié à mettre en œuvre les mesures de prévention nécessaires (article L4121-4) et la nécessité que les employeurs qui partagent un lieu de travail collaborent pour la prévention des risques de leurs employés (article L4121-5). Les mesures de prévention mises en place par un employeur ne doivent entrainer aucune charge financière pour les travailleurs (article L4122-2).
Au-delà de la responsabilité de l’employeur, le salarié a une responsabilité également, en fonction de sa formation et de ses possibilités, de préserver sa santé et sa sécurité ainsi que celle des autres personnes concernées par ses actes et omissions (article L4122-1).
Le non-respect de ces obligations peut mener à des conséquences juridiques importantes, comme le montrent plusieurs cas présentés par Michaël Prieux, inspecteur du travail, dans son document sur les approches jurisprudentielles des risques psychosociaux. Si vous souhaitez le consulter, le lien est disponible en bibliographie.
Dans la fonction publique, un accord cadre a été réalisé le 22 octobre 2013. En application de cet accord, les employeurs des trois versants de la fonction publique (Etat, territorial, hospitalier) devaient élaborer un plan d’évaluation et de prévention des RPSO d’ici 2015. Une phase de diagnostic, la mise à jour du DUERP, l’association des organisations syndicales et la mise en place d’actions de formation à destination des managers et de sensibilisations à destination des agents publics faisaient partie des actions citées. Depuis le 9 juillet 2021, les employeurs publics et organisations syndicales peuvent conclure des accords collectifs applicables aux agents publics à l’échelle nationale ou locale sur des thématiques variées comme les conditions et l’organisation du travail, les actions de prévention, le temps de travail etc.
En plus de ces considérations générales, des accords nationaux interprofessionnels (ANI) ont été réalisés en France pour plusieurs perturbations psychosociales comme le stress au travail (ANI du 2 juillet 2008) ou le harcèlement moral et la violence au travail (ANI du 26 mars 2010). Toutefois, comme le précisait Vincent Jaminon, les ANI adoptent l’approche soft law et se veulent plus incitatifs que coercitifs sur la question de la prévention de ces problèmes.
Nous ne citerons pas les textes divers et plus spécifiques relatifs aux dispositifs de signalement que les entreprises et administrations doivent mettre en place ou la protection donnée aux lanceurs d’alerte.
En plus de ces considérations, les RPSO ont-ils un impact économique ?
Marc Lassagne et Christian Trontin proposent dans le dictionnaire des risques psychosociaux un article dédié à l’évaluation économique des RPSO.
Ils indiquent que l’évaluation économique est confrontée à plusieurs difficultés comme le fait que les RPSO et leurs conséquences sont plus difficiles à évaluer que les biens marchands, qu’il est difficile d’établir un niveau à partir duquel l’exposition à un RPSO conduit à des conséquences évaluables, que les conséquences ne sont pas immédiates et que l’étendue des effets d’un RPSO ne se limite pas au seul coût des pathologies provoquées mais que les RPSO ont des conséquences diversifiées et se situant à plusieurs échelles (individu, organisation, société) qui interagissent entre elles.
Les auteurs présentent toutefois deux approches complémentaires :
- Les approches fondées sur les données statistiques, qui renvoient aux approches par le coût de la maladie. On retient ici seulement les effets sur la santé qui se traduisent par des pathologies avérées, puis on estime pour ces pathologies les conséquences économiques. Dans un premier temps, pour ces pathologies qui peuvent être multifactorielles, il est nécessaire d’utiliser la méthode des fractions attribuables pour évaluer le « sur-risque » de développer ces pathologies à cause de l’exposition à des RPSO afin d’obtenir, pour une population donnée, l’évaluation du nombre de pathologies dues aux RPSO. Dans un second temps, l’analyse concerne les coûts associés à chacune de ces pathologies : coûts directs associés aux soins et obtenables grâce aux données de l’assurance maladie, et coûts indirects qui renvoient à la fois à des éléments tangibles (conséquences de la situation du salarié pour l’organisation, calculée grâce à la méthode du coût du capital humain ou à la méthode des coûts de friction) et à des éléments intangibles liés à l’individu.
- Les approches par enquêtes et questionnaires visent à répondre aux limites des approches fondées sur les statistiques, qui n’évaluent pas le préjudice des RPSO à l’échelle de l’individu : préjudice moral, souffrance ressentie, perturbation du quotidien de l’individu etc. Ces préjudices sont difficilement quantifiables économiquement. Ces coûts intangibles sont évalués avec la méthode des prix hédonistes, dans lesquels on évalue par exemple les différences de salaires entre deux situations professionnelles similaires mais dont le contexte d’exposition aux RPSO est différent, ou avec la méthode de l’évaluation contingente, qui évalue les préférences déclarées par un individu en l’interrogeant sur le prix qu’il est prêt à payer notamment via une renonciation d’une partie de son salaire pour évoluer dans un environnement moins exposé à certains RPSO.
Les auteurs précisent que ces approches, outre les difficultés soulevées, peuvent être soumises à certains biais mais sont néanmoins parfois utiles afin de faciliter les arbitrages des décideurs.
La question du retour sur investissement est intimement liée à cette question de l’évaluation économique des RPSO. Plusieurs études citent parfois des chiffres tels que « 1€ investi = 2€20 gagnés ». Mais nous souhaitons surtout dans cet article, en vous présentant les différentes méthodologies d’évaluation économique des RPSO, vous rappeler la complexité de ces études économiques d’une part, et vous inviter à un questionnement plus large : au delà de l’effet d’annonce, ces études mettent souvent en effet des différences de retour sur investissement en fonction des actions de prévention (certaines actions peuvent par exemple être citées pour avoir un retour sur investissement de 7€ pour 1€ investi et d’autres beaucoup moins).
Notre propos est donc surtout de vous indiquer que ce type de calcul est possible, mais complexe et soumis à de nombreuses limites. Il peut vous servir d’argument pour faciliter l’action, mais n’oubliez pas que le principal n’est pas de choisir l’action ayant un retour sur investissement théorique parmi les plus élevés d’après telle étude faite dans le BTP alors que votre contexte professionnel ne serait pas le même, la comparaison peu pertinente et la méthode de calcul non précisée ou comprise.
Pour finir, une revue systématique réalisée par Frédérique Thonon et ses collaborateurs en 2023 confirme notre appel à la vigilance. Si la majorité des recherches scientifiques prises en compte déclare des retours sur investissement positifs des interventions de prévention en contexte de travail, les auteurs appellent à réaliser davantage de recherches pour mieux comprendre les différences observées et confirmer les connaissances avec une méthodologie plus rigoureuse (présence d’un groupe contrôle, homogénéité de la méthode de calcul du retour sur investissement etc.).
Comment peut-on faire pour prévenir les RPSO ?
Tout d’abord, nous souhaitons préciser qu’il existe trois niveaux de prévention :
- La prévention primaire, qui vise à éviter qu’une situation pathogène se produise. On modifiera alors l’environnement de travail, l’organisation du travail ou la culture organisationnelle pour prévenir les facteurs de RPSO.
- La prévention secondaire, qui vise à donner des ressources aux individus pour faire face à une situation problème. Il s’agira par exemple de formations ou d’outils.
- La prévention tertiaire, qui vise à accompagner les salariés dont l’état de santé aura pu être dégradé suite à une situation pathogène. Il s’agira par exemple de l’accompagnement proposé suite à l’exposition à un événement traumatogène ou à une agression.
Ensuite, nous souhaitons distinguer la prévention quotidienne, qui est une responsabilité partagée, des démarches structurées de prévention.
La prévention du quotidien :
Idéalement, la prévention des RPSO s’inscrit dans le fonctionnement des organisations et non uniquement dans une démarche structurée portée par des acteurs de la prévention.
Si le manager occupe une place privilégiée pour être un acteur clé de la prévention, comme le précise le rapport sur le bien-être et l’efficacité au travail rédigé par Henri Lachman, Christian Larose et Muriel Penicaud, le travailleur partage cette responsabilité comme nous avons pu le voir dans la partie de notre article dédiée au cadre légal.
Plusieurs livres proposent aux lecteurs d’aborder la question de la prévention des RPSO à plusieurs échelles : l’individu, le manager et l’organisation. C’est notamment le cas du livre sur la santé psychologique au travail en période de Covid-19, rédigé par Christophe Nguyen et Jean-Pierre Brun et dont les différentes préconisations restent légitimes après la période de crise sanitaire, ou du livre Burn Out coordonné par Adrien Chignard. D’autres livres, comme Bien dans votre job d’Adrien Chignard, proposent enfin aux individus des conseils pour retrouver un pouvoir d’agir par rapport à différents facteurs de RPSO.
Nous ne tenterons pas d’être exhaustif sur tous les facteurs de RPSO, et nous vous invitons à compléter cet article par d’autres lectures en commençant par les ouvrages cités en bibliographie, mais voici quelques conseils volontairement généraux pour essayer de prévenir les risques au quotidien :
- Pour le travailleur quel qu’il soit : ne pas faire de sa vie personnelle une variable d’ajustement pour absorber les problèmes professionnels, parler de ses problèmes à son manager, rechercher le soutien social de sa hiérarchie et de ses collègues, prendre du recul par rapport à ses pratiques professionnelles pour ne pas nuire à son entourage professionnel, personnel ou à sa propre santé, solliciter les ressources à disposition comme le service de prévention et de santé au travail ou un psychologue du travail si nécessaire, sanctuariser les moments personnels permettant de se ressourcer.
- Pour le manager : appliquer les conseils donnés pour le travailleur à soi-même, ne pas adopter une posture de manager sacrificiel, accueillir les problèmes remontés par ses collaborateurs, les analyser et essayer d’y répondre, informer et réorienter les travailleurs vers les ressources adéquates si nécessaires, interroger ses pratiques professionnelles et les conditions de travail de son équipe à l’aide des 6 catégories de facteurs de risques, prendre en compte ces facteurs de RPSO lors des changements dans les conditions de travail, veiller à accorder les moyens à disposition des collaborateurs aux objectifs demandés. Afin de pouvoir prévenir les risques pour son équipe, il est également essentiel que le manager ne se coupe pas totalement du terrain professionnel et puisse constater et vivre les conséquences des décisions prises et ayant un impact sur les collaborateurs.
La démarche structurée de prévention des RPSO :
Plusieurs exemples de méthodes peuvent être identifiés dans la littérature et peuvent accompagner les organisations dans la construction de leur approche. On peut par exemple citer la méthode proposée par Tony Machado dans son livre sur la prévention des RPSO, la méthode proposée par l’ANACT ou encore les conseils donnés par l’INRS pour évaluer les facteurs de RPSO. Vous pourrez retrouver les différentes références dans la bibliographie.
Nous pouvons toutefois citer quelques impondérables qu’il conviendra de mettre en œuvre :
- Impliquer les acteurs : Nous évoquons ici l’implication de la haute hiérarchie, qui sera garante du bon déroulement de la démarche, mais également l’implication des managers de proximité, collaborateurs et services ressources. Les démarches de prévention des RPS nécessitent une pluridisciplinarité et l’implication de tous les travailleurs, afin d’être efficaces. En tant qu’acteur spécialisé (psychologue du travail, chargé de mission RPSO etc.), vous ne pourrez lancer cette démarche en solo. Dans les méthodes de prévention des RPSO que l’on peut voir, cette implication se retrouve incitée par le biais de l’organisation de comités de pilotage, de groupes projets et par les méthodes participatives d’évaluation et de co-construction des plans d’actions citées.
- Parler un langage commun : Nous l’avons vu dans notre article, le terme « RPS » est polysémique. Les causes et conséquences peuvent se mêler dans le langage. Pour pouvoir impliquer les acteurs et travailler efficacement, il conviendra de se mettre d’accord sur l’objet de ce travail, partager la définition des termes, les enjeux etc.
- Associer les partenaires sociaux : Le dialogue social est régulièrement cité, dans les textes réglementaires comme dans les articles scientifiques ou les méthodes proposées, comme essentiel et facilitateur pour la prévention des RPSO. Cela passe notamment par l’implication des représentants du personnel siégeant dans la formation spécialisée santé, sécurité et conditions de travail du CSE (anciennement : CHSCT).
- Identifier et analyser les indicateurs RH : Nous l’avons évoqué, les RPSO génèrent des conséquences sur l’organisation et peuvent être approchés grâce à certains indicateurs RH pertinents (absentéisme, turnover, accidentologie …). Ces indicateurs peuvent être utilisés en pré-diagnostic ou dans le cadre du suivi à long terme de l’organisation.
- Mettre en place une méthodologie pour accéder aux conditions réelles de travail : L’analyse des indicateurs RH ne se suffit pas et il est essentiel de pouvoir approcher le travail réel des collaborateurs pour comprendre les facteurs de RPSO auxquels ils sont exposés dans le cadre de leurs situations de travail, les ressources qu’ils peuvent mobiliser et les équilibres ou déséquilibres qui peuvent exister. C’est aussi par cette approche du travail réel que pourront être élaborées les actions du plan d’action, car des préconisations théoriques et potentiellement non applicables sont à proscrire. Plusieurs outils peuvent être utilisés comme les entretiens, les questionnaires, les focus groups et groupes de travail. Des supports sont parfois donnés dans les méthodes proposées, comme l’outil RPS-DU préconisé par l’INRS.
- Mettre en place un plan d’actions concret et un suivi de la situation : Une évaluation des RPSO doit donner lieu un plan d’actions. Ce plan d’actions doit être concret pour être appliqué et faire l’objet d’un suivi, notamment dans le cadre des réévaluations annuelles du document unique d’évaluation des risques professionnels. Une démarche de prévention des RPSO doit en effet s’inscrire, à terme, dans le fonctionnement régulier de l’organisation.
- Communiquer auprès des collaborateurs : Cette étape est nécessaire pour maintenir l’implication des acteurs et garantir l’acculturation du personnel à la démarche de prévention des risques psychosociaux. Elle peut passer par des communications institutionnelles, des acteurs relais sur le terrain comme le manager ou les ambassadeurs de la démarche et peut aussi s’appuyer sur différents outils comme le document unique d’évaluation des risques professionnels, les groupes créés sur l’Intranet de l’organisation ou encore les résultats des baromètres de suivi des RPSO s’ils sont mis en place.
Parmi les différents modèles d’intervention, une réflexion nécessaire qui constituerait la plus-value du psychologue :
Ceci précisé, Nadège Guidou, dans sa thèse de doctorat en psychologie, a pu mettre en avant la diversité des modèles d’intervention bénéficiant d’un cadre théorique pour prévenir la souffrance psychique des individus au travail, et proposer son propre dispositif de prévention. Chacun de ces modèles vient avec son cadre théorique, ses objectifs, ses méthodologies, ses avantages et ses limites. Dans sa thèse, elle explique que cette disparité crée une difficulté pour l’action dans les organisations : choisir un modèle quand on est confronté à une multitude d’approches possibles. On pourrait ajouter à sa réflexion celle de Vincent Jaminon qui expliquait que l’approche par « soft law », en France, a permis à tout un tas d’acteurs non forcément formés en prévention de proposer d’intervenir sur le sujet, laissant les organisations avec encore plus de choix et donc plus de difficultés à choisir la bonne intervention. Intervenir nécessite de réfléchir à l’adaptation entre le modèle d’intervention et le terrain, et Nadège Guidou cite notamment les difficultés qui peuvent exister dans le fait de changer de modèle en cours d’intervention pour répondre à un enjeu spécifique (par exemple, passer d’une approche orientée par la psychodynamique du travail à une approche plus épidémiologique et multifactorielle des RPSO pour faciliter la rédaction du document unique d’évaluation des risques professionnels).
C’est justement dans cette réflexion, et non dans l’application d’une méthode ou d’une approche stricte, que se situerait la plus-value du psychologue du travail et Nadège Guidou propose alors de réfléchir les démarches de prévention à l’aide de différents critères : l’objet d’intervention (est-il partiel et à valence purement négative ou global ?), le degré d’implication des acteurs et ce qu’elle a nommé le processus cognitif de prévention (est-on sur de la prévention primaire, secondaire ou tertiaire ?). Elle indique également qu’il reviendra au psychologue du travail la responsabilité de faire évoluer la culture organisationnelle pour, par exemple, passer d’une intervention sur un objet partiel à valence négative (comme un risque bien précis) à une intervention sur un objet plus global, ou pour faire évoluer le degré d’implication des différents acteurs (salariés comme dirigeants).
Dans sa thèse, Nadège Guidou nous présente également une enquête sur les pratiques de prévention des RPSO dans les services de santé au travail qui montre que les démarches collectives sont minoritaires au détriment des accompagnements individuels, alors même que les recommandations scientifiques et légales insistent sur la dimension collective. Lorsque les démarches collectives sont effectuées, elles répondent à une situation de travail dégradée (prévention tertiaire) alors que les recommandations visent plutôt à renforcer la prévention primaire. Elle fait deux hypothèses face à ces résultats : soit il y a un manque de culture concernant la prévention des RPSO, soit des démarches sont lancées sans accompagnement des services de prévention et de santé au travail alors même que les professionnels de ces services ont une responsabilité dans la préservation de la santé des travailleurs. Nous pensons donc essentiel de sensibiliser dans cet article le lecteur sur la nécessité de développer la culture de prévention dans les organisations d’une part, et de favoriser la collaboration avec les services de prévention et de santé au travail pour les démarches de prévention primaire d’autre part. C’est, selon nous, là aussi que peut se situer la plus-value du psychologue du travail par rapport à d’autres professionnels.
Ces constats sont semble-t-il partagés par le législateur puisque la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, progressivement mise en application par décrets, insiste sur l’importance de la prévention primaire et renomme les anciens services de santé au travail en services de prévention et de santé au travail et voient leurs missions évoluer pour réaffirmer certaines missions de prévention et de maintien dans l’emploi.
Maturité de l’organisation, acculturation et prévention des RPSO :
Sur plusieurs thématiques, des étapes d’acculturation ou stades de maturité ont pu être conceptualisés. Nous avions par exemple pu présenter les six niveaux de maturité dans le développement de l’expérience utilisateur en organisation dans notre article disponible à ce lien.
Un modèle a été développé par Vernon Bradley concernant la sécurité au travail : la courbe de Bradley. Il indique que les organisations peuvent se situer à différents niveaux de maturité qui sont synthétiquement présentées ainsi :
- Le niveau réactif : La direction est peu impliquée, le sujet est délégué au responsable sécurité, la sécurité se fait plutôt par instinct et l’absence d’accidents est vue comme impossible.
- Le niveau dépendant : La direction est impliquée, des formations sont organisées mais la sécurité passe surtout par la supervision et le contrôle du personnel. L’absence d’accidents est vue comme un rêve.
- Le niveau indépendant : Il y a un engagement personnel des travailleurs, il existe des standards de sécurité, chacun fait attention à soi et l’absence d’accidents est vue comme un objectif.
- Le niveau interdépendant : Il y a un engagement collectif, la sécurité est vue comme une responsabilité collective et fait la fierté de l’organisation. L’absence d’accidents est vue comme un choix organisationnel.
Les premiers niveaux sont associés à une accidentologie plus élevée, et l’objectif d’une acculturation à la sécurité est de faire évoluer les organisations vers les derniers niveaux de maturité.
Il n’existe pas, à notre connaissance, de modèles dédiés à la prévention des RPSO qui peut, d’après notre expérience, présenter des spécificités et donc ne pas répondre totalement aux autres modèles qui existent (par exemple avec des stades de maturité traduisant une tendance à individualiser la thématique des RPSO, à psychologiser les problèmes, à adopter une démarche purement tertiaire, à privilégier une approche légaliste des perturbations psychosociales etc.). En tant que professionnels, nous pensons qu’il s’agirait d’un sujet de recherche intéressant et incitons les potentiels lecteurs chercheurs ou enseignants chercheurs à évaluer la pertinence de cet objet de recherche.
Quels sont les liens et différences entre démarche de prévention des RPSO et les autres démarches : démarche qualité de vie et des conditions de travail, démarche égalité femme/homme, plan d’action contre le harcèlement etc. ?
Nous avions pu précédemment réaliser un article sur la qualité de vie et des conditions de travail. Nous avions vu dans cet article que les chercheurs ont des avis partagés sur la question de la différence entre qualité de vie et des conditions de travail et prévention des RPSO : certains estiment que le premier terme est une évolution du second tandis que d’autres identifient une claire différence mais peuvent inviter à articuler les deux orientations.
Pour faire simple, la prévention des RPSO relève d’une obligation légale pour les employeurs et travailleurs. Cette démarche est donc non optionnelle et doit être mise en œuvre dans les organisations tandis que les démarches de qualité de vie et des conditions de travail relèvent davantage d’un engagement à l’heure actuelle.
Des démarches, ou plans d’actions spécifiques, comme les plans de lutte contre le harcèlement sexuel au travail ou les plans de lutte contre le stress au travail, peuvent être initiés par les organisations. Dans ce cas, nous invitons à les inscrire dans le cadre d’une démarche plus générale sur la prévention des RPSO. Ainsi, nous pouvons avoir une démarche de prévention des RPSO qui donne lieu et coordonne des plans d’actions spécifiques à certaines perturbations psychosociales comme le harcèlement ou le stress professionnel.
Idéalement, les démarches de prévention des RPSO peuvent s’intégrer dans une démarche plus globale de développement de la qualité de vie et des conditions de travail. Mais cela requiert une maturité organisationnelle sur ces sujets afin de pouvoir articuler les différentes thématiques et actions de façon constructive.
Pour aller plus loin sur la thématique, nous vous invitons à lire ces références utilisées pour rédiger l’article :
Accord du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail (2010) (France). Ministère du travail et de l’emploi. https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/accord-harcelement-violence-2010-2.pdf
Accord national interprofessionnel sur le stress au travail (2008) (France). Ministère du travail et de l’emploi. https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/Accord_stress_travail_Fr.pdf
ANACT (2015, 23 novembre). Prévenir les risques psychosociaux : la méthode ANACT. https://www.anact.fr/prevenir-les-risques-psychosociaux-la-methode-anact
Articles L4121-1 à L4122-2 du code du travail (France). Legifrance. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072050/LEGISCTA000006160774/#LEGISCTA000006160774
Guidou, N. (2017). La qualité, l’innovation et la créativité au travail au sein des organisations : vers une politique globale de prévention de la souffrance psychique au travail [Thèse de doctorat, université de Lyon]. Theses.fr. https://www.theses.fr/2017LYSE2089
INRS (2022, octobre). Evaluer les facteurs de risques psychosociaux : l’outil DU-RPS. https://www.inrs.fr/media.html?refINRS=ED%206403
INRS (2023, février). Risques psychosociaux. Comment agir en prévention ? https://www.inrs.fr/media.html?refINRS=ED%206349
Gollac, M. et Bodier, M. (2010). Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser. https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_SRPST_definitif_rectifie_11_05_10.pdf
Lachmann, H., Larose, C. et Penicaud, M. (2010). Bien-être et efficacité au travail : 10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail. https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/02-17_Rapport_-Bien-etre_et_efficacite_au_travail–2.pdf
Lassagne, M. et Trontin, C. (2014). Risques psychosociaux : évaluation économique. Dans P. Zawieja et F. Guarnieri (Dir.). Dictionnaire des risques psychosociaux (p. 659-662). Seuil.
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